En Français Voices From Spain

Amphibies

Photo: Himesh Kumar Behera | Unsplash

Publié à l’origine en espagnol: “Anfibios”. Rafa Latorre. El Mundo.

29 Mai 2018

L’implosion de la législature a obligé la presse à passer trop rapidement sur un des phénomènes les plus durables, les plus intéressants et sans doute les plus déterminants de la politique espagnole. En l’espace d’une semaine, le parti national basque (PNV) a montré sa nature amphibie —expression employée par Jordi Amat— du nationalisme bourgeois grâce à une coïncidence lumineuse : à Madrid il a voté oui aux budgets du parti populaire (PP) et à Vitoria il a signé un pacte avec le parti [indépendantiste radical] Bildu pour un Statut du Pays Basque qui est l’antichambre de l’indépendance. Le jour où fut annoncé le oui du parti basque aux comptes de Rajoy, l’on vit apparaître dans les journaux de Madrid des éditoriaux élogieux, qui louaient le sens de la responsabilité d’Urkullu, le pragmatisme et le bon sens basque, tout ce qu’on avait pu lire de Pujol et des Catalans quand c’était lui qui faisait office d’aide de camp des gouvernements de Madrid. Il faut savoir qu’en Espagne, il y a toujours un gentil nationalisme qu’il faut récompenser avec de généreuses concessions, non pas pour sa loyauté mais pour son absence de déloyauté, ce qui n’est pas exactement la même chose. Ce qu’était Convergencia [le parti de droite nationaliste catalan] quand ETA couvrait de cadavres le Pays Basque, est équivalent à ce qu’est maintenant le PNV à l’instant où la xénophobie séculaire du nationalisme catalan est en train d’émerger dans toute sa crudité.

Ce phénomène est quelque chose que l’Espagne non centrifuge connaît par cœur. L’homme d’Estrémadure le sait bien quand il monte dans un train en direction de Madrid et le Galicien aussi, quand il demande son train de haute vitesse (AVE) en direction de sa région. On leur reproche la docilité avec laquelle ils vivent leurs particularités identitaires. Tous deux savent aussi que le nationalisme méchant d’aujourd’hui sera le gentil de demain, quand ceux qui sont gentils aujourd’hui commenceront à faire fructifier les manœuvres qui étaient en train d’incuber lorsqu’ils n’étaient pas encore mauvais.

Ce sont des certitudes solides et partagées, renforcées par les négociations budgétaires cycliques et par un prix à l’ « espagnol de l’année » de temps en temps. Pour cette raison, on a pu remarquer la déception des indépendantistes quand ils se sont rendu compte de l’impossibilité métaphysique d’une « internationale nationaliste ». Le PNV avait promis qu’il ne donnerait pas son appui au gouvernement espagnol tant que celui-ci ne lèverait pas l’article 155 [de tutelle de la Catalogne], et voyez ce qui s’est passé. Et ils sont maintenant en train de sécher leurs larmes dans leurs mouchoirs jaunes suite à la trahison basque, alors justement que la trahison n’est autre chose que le trait de caractère le plus flagrant de l’idéologie qu’ils partagent.

Le séparatisme catalan veut détruire les liens d’affection qui font la cohésion de l’Espagne, et c’est pour cela qu’il demande l’affection des personnes auxquelles elles ne sont unies que par l’Espagne, même si cette union repose sur le rejet de celle-ci. Voici un magnifique cas pratique de ce qu’est la différence entre patriotisme et nationalisme.

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