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Le coup d’état qui voulait l’être

Publié à l’origine en espagnol: “El golpe que quiso ser”. José I. Torreblanca. El País.

12 avril 2018

Il est surprenant de voir que les juges allemands sont passés à côté d’une loi qui cadre parfaitement dans le catalogue historique des coups d’état.

Les 6 et 7 septembre de l’année dernière, le Parlement régional catalan a adopté une loi référendaire que très peu de personnes ont lu, en Espagne comme à l’extérieur. L’article 1 de cette loi explique clairement qu’elle « réglemente la tenue d’un référendum contraignant d’autodétermination sur l’indépendance de la Catalogne ». Il ne s’agissait pas du tout, comme on a voulu nous le faire croire (rappelez-vous les déclarations de Pablo Iglesias ou Ada Colau), d’une consultation ou d’une mobilisation populaire aux prétentions festives et symboliques, mais bien d’une loi par laquelle le Parlement catalan se constituait en sujet politique souverain, s’octroyait le droit à l’autodétermination et organisait un référendum d’indépendance.

Un référendum qui, selon l’article 4.4, devait conduire automatiquement à l’indépendance sous 48 heures quel que soit le niveau de participation et le nombre de personnes qui y auraient effectivement participé (« si le décompte des voix valablement exprimées donne plus de voix affirmatives que négatives, le résultat impliquera l’indépendance de la Catalogne »). De toute évidence, le référendum était conçu de manière à ce qu’il ne puisse donner qu’un résultat favorable à l’indépendance.

Cette loi ne cachait pas sa vraie nature. L’article 2.2 affirmait établir « un régime juridique exceptionnel visant à réglementer et à garantir le référendum d’autodétermination en Catalogne ». En outre, pour blinder cette loi contre toute possible modification, il était stipulé qu’elle « prévaut hiérarchiquement sur toutes les règles qui sont susceptibles d’entrer en conflit avec elle, dans la mesure où elle réglemente l’exercice d’un droit fondamental et inaliénable du peuple de Catalogne ».

Il est surprenant de voir que les juges allemands aient omis de prendre en considération une loi qui, en affirmant son caractère exceptionnel, non-dérogatoire et suprématiste, s’inscrivait parfaitement dans le catalogue historique des coups d’état qui ont été perpétrés avec l’adoption par les parlements de règles exceptionnelles conférant des pouvoirs extraordinaires au pouvoir exécutif. Sa République de Weimar, justement, a péri sous un coup d’état parlementaire : la loi dite d’habilitation octroya les pleins pouvoirs au chancelier Adolf Hitler, qui avait gagné les élections, pour adopter des lois par décret sans approbation parlementaire au Reichstag. « C’est le souverain qui décide l’état d’urgence », affirma Carl Schmitt (1888-1985), définissant cela comme la « suspension de la Constitution par le pouvoir souverain ».

Le coup d’état qui n’eut pas lieu, voulait l’être.

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