Josep Borrell
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Discours de Josep Borrell le 8 octobre : «Récupérons le bon sens»

Josep Borrell. Intervention prononcée à la fin de la manifestation du 8 octobre 2017 à Barcelone « Récupérons la raison » (“Recuperem el seny”)

(Traduction en français)

Citoyens et citoyennes de Catalogne, car c’est cela que vous êtes : des citoyens de ce pays.

Je vois quelques drapeaux étoilés. La voilà notre « estelada » (agitant le drapeau de l’Union européenne). Il porte les étoiles de la paix, du vivre ensemble, du droit. C’est ce que l’Europe représente aujourd’hui.

Amis, amies, compagnons, citoyens : nous sommes ici parce que nous nous sommes donné rendez-vous pour défendre le vivre ensemble, le pluralisme politique et la solidarité. Et il est nécessaire que nous le fassions. Parce que la coexistence a été cassée dans ce pays. Elle a été cassée entre amis, à l’intérieur des familles. Elle est cassée dans la rue. Nous devons la refaire. Nous devons défendre le pluralisme politique parce qu’il n’est pas reconnu. Quand nous avons la présidente du Parlement (catalan) qui ose dire que ceux qui votent pour certains partis politiques ne sont pas catalans, ils sont en train de piétiner toutes nos valeurs (…).

Madame Forcadell, n’avez-vous pas songé un instant que, avant de dire ces choses, vous auriez dû démissionner en tant que présidente du Parlement de Catalogne ? Mais comment cela est-il donc possible ?

(au public) Non, ne m’applaudissez pas, on m’a dit que je n’avais que 10 minutes.

Comment est-il possible que la présidente d’un parlement  j’ai été président du Parlement européen que la présidente d’une institution représentant tous les citoyens puisse oser dire que celui qui vote pour d’autres partis politiques, d’une manière démocratique, libre et ouverte, ne sont pas catalans ? Bien sûr, ils le sont ! Autant que tout autre !

Et comment est-il possible que nous ayons un conseiller du gouvernement de la Generalitat qui dise que ceux qui ne sont pas d’accord avec le référendum d’indépendance ne sont pas des citoyens mais des sujets ?

Vous n’êtes pas de sujets !

Et si vous êtes ici aujourd’hui, si vous en êtes venus si nombreux, c’est précisément pour dire au monde que ceux qui ne pensent pas comme les nationalistes ont le même droit de cité en tant que citoyens de la Catalogne.

(applaudissements)

Amis et amies, j’ai un ami qui vit sur la lune et comme il nous voit de loin, quand il nous regarde de son télescope, il me dit : Josep, en Catalogne, il n’y a que des indépendantistes.

(huées)

Non, bien sûr que non, je lui réponds, mais bon c’est compréhensible, il nous voit depuis très loin, il ne voit que les indépendantistes, et il me demande où sont les autres qui disent qu’ils ne le sont pas ?

Eh bien, vous l’êtes. Ami de la lune, maintenant tu nous vois !

Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas été ni vus ni entendu. Désormais, nous devons faire entendre la voix de tous les Catalans. Et cela exige le contrôle démocratique des médias publics (applaudissements) qui sont une honte en démocratie.

(applaudissements et cris)

(au public)

Bon apparemment vous êtes d’accord avec moi, non? (…)

Il faut que les gens s’expriment avec un maximum de respect. Je ne voudrais pas exagérer mais nous sommes en train de vivre des moments presque dramatiques dans l’histoire de ce pays.

Et il ne faut pas lancer de vociférations excessives. Il faut demander du sens commun, il faut demander du respect pour nous et pour les autres. Il faut faire très attention avec ce que nous allons faire dans les prochains jours, car si l’indépendance est déclarée de façon unilatérale, ce pays ira au précipice, Monsieur Puigdemont. Ne le lancez pas au précipice. Ne le laissez pas tomber dans le précipice.

(des cris)

(au public)

Non, non, non. Ne criez pas comme les foules du cirque romain. Seuls ceux dont les juges le décident vont en prison.

Je vous le demande, s’il-vous-plaît, prenons soin d’être très respectueux, reconstruisons les liens d’affection, aimons-nous. Chaque fois que je discute avec mes amis indépendantistes et que je leur explique combien d’histoires il y a dans leurs comptes, chaque fois que j’explique les mensonges qu’ils ont dit pour accroître leur mépris envers les gens, au bout du compte, lorsqu’ils voient qu’ils n’ont plus de raisons ni d’arguments, ils répondent : « mais on ne nous aime pas ». Et bien si, nous vous aimons.

Je vais vous demander une faveur à vous tous, à tous ceux qui sont venus, et aussi d’ailleurs de la Catalogne : lorsque vous rentrerez chez vous partout en Espagne, faites une chose : allez acheter une bouteille de cava catalan.

(applaudissements)

Allez acheter une bouteille de cava catalan parce que les ventes de cava catalan ont diminué de 15%, ce qui signifie que cela fait monter le nombre de travailleurs en Catalogne au chômage. Aucun boycottage, aucune offense. Nous devons travailler tous ensemble pour récupérer le bon sens qui s’est évaporé.

Et maintenant je m’adresse aux hommes d’affaires de Catalogne. Maintenant, j’aimerais parler à tous ceux qui prennent rapidement la décision de quitter la Catalogne : n’auriez pas pu le dire auparavant ?

Tout ce que vous avez dit en privé, pourquoi ne l’avez-vous pas dit en public ?

Quand il y a deux ans je disais, au moment de publier mon premier livre, que si l’indépendance était déclarée, il se produirait ce qui est en train de se passer, que les entreprises partiraient et les banques les premières. Et Monsieur Junqueras y Monsieur Mas, comme de grands prophètes, qui disaient qu’aucune entreprise et aucune banque ne partirait.

Personne, n’est-ce pas Monsieur Mas?

Et bien, tous ceux qui aujourd’hui s’en vont auraient dû le dire avant. Ils auraient dû dire que s’il se produisait ce qui est en train de se produire, ils feraient ce qu’ils sont en train de faire maintenant. Parce que s’ils l’avaient dit, alors peut-être que cela ne serait pas en train de se passer.

Tous nous sommes un peu coupables d’être restés trop silencieux. Maintenant le moment est arrivé où ceux d’entre nous qui nous sentons appartenir à cette terre, nous fassions un appel à la sérénité, à la sagesse, au vivre ensemble, à la solidarité, au pluralisme politique.

Voici les emblèmes de cette étoile européenne et c’est pour cela que nous devons travailler, mes amis.

(applaudissements)

Nous ne règlerons pas ce problème en prenant des décisions unilatérales. Ce n’est pas un problème d’ordre public, ou pas seulement. Ce n’est pas un problème qui peut s’arranger en disant que nous faisons les choses mieux, et que l’Europe nous accueillera les bras ouverts.

Monsieur Junqueras, arrêtez de tromper les Catalans. Arrêtez de dire les choses comme elles ne sont pas. Vous croyez vos propres mensonges, mais si vous faites réellement ce que vous avez annoncé, nous le paierons très cher en Espagne et en Europe.

Car ce que vous défendez est le contraire de l’idéal européen.

L’idéal européen est le respect à la Loi et la solidarité. Vous rompez l’un et vous ne voulez pas respecter l’autre.

Et vous pensez qu’avec cette carte de visite, vous allez être reçu les bras ouverts? Non. On vous dira que vous reveniez voir un autre jour, et pendant ce temps tous nous souffrons beaucoup. Car moi je vois qu’il y a des gens qui souffrent. Je le vois dans la rue, dans le train, dans les restaurants. Des bonnes gens qui ont peur, peur de ce qui peut arriver. Ils ne savent pas ce qui va advenir de leur retraite. Ils ne savent pas s’il faudra qu’ils s’en aillent de ce pays. Ils nous demandent que nous fassions quelque chose, s’il-vous-plaît. Oui, les responsables politiques doivent faire quelque chose, et rapidement, car nous sommes à la limite d’une situation qui peut terminer en affrontement civique. Et nous devons contribuer à qu’il n’en soit pas ainsi.

Mais j’en termine, j’ai beaucoup de choses à dire mais nous n’avons pas le temps. Je veux seulement vous dire deux choses.

En premier lieu : quand le président Kennedy envoya la Garde Nationale pour en terminer avec (…obliger les États du Sud à respecter les lois raciales), il dit qu’aucun homme, tout puissant qu’il soit, et aucune foule, même si elle crie fort, n’est au-dessus de la loi. Car (il passe à parler en espagnol) le jour où ils se situeraient au-dessus de la loi, les juges ne pourraient pas faire leur travail, personne ne serait à l’abri de l’arbitraire du gouvernement et personne ne pourrait être sûr de ce que pourrait lui faire son voisin.

(applaudissements)

(en catalan)

Et nous voulons être sûrs de ce que peut nous faire notre voisin. Ici se sont passé des choses qui n’auraient pas dû se passer. Nous avons vu des images qui ne nous plaisent pas. Nous sommes en train de nous faire du mal les uns aux autres. C’en est assez, récupérons le sens commun et pensons que dans le monde dans lequel nous vivons, au XXIème siècle, nous avons le droit de vivre tranquilles. Nous avons le droit à la tranquillité. Il faut profiter de cette terre merveilleuse, du progrès que cette Espagne démocratique dont nous pouvons nous sentir fiers.

(applaudissements)

Il y a des problèmes, bien sûr qu’il y a des problèmes. Quel pays n’a pas de problèmes?  

(en anglais) Mais croyez-moi, vous pensez que la Catalogne c’est comme la Lituanie, le Kosovo? No.

(en français) Vous pensez que la Catalogne est comme l’Algérie pour la France? Non, la Catalogne n’est pas une colonie.

(en espagnol) La Catalogne n’est pas un pays occupé militairement comme l’était la Lituanie occupée par l’armée soviétique.

(en anglais) La Catalogne n’est pas un état comme le Kosovo, où il y avait de la violence et où les droits de l’homme étaient bafoués.

(en catalan) Et pour ces raisons, la Catalogne doit continuer à travailler, dans le respect de la loi ; et il ne faut pas croire ceux qui affirment que le Droit international est de leur côté, parce que ce n’est pas vrai. Il n’est pas de leur côté!

Ban Ki Moon, le Secrétaire général des Nations Unis, est venu ici en personne le dire.

Mes amis, pas plus de frontières. Ce drapeau représente la suppression des frontières.

Que sont les frontières? Les frontières sont les cicatrices que l’Histoire a laissées sur la peau de la terre.

(en espagnol)

Les frontières sont les cicatrices que l’Histoire a gravées sur la peau de la terre. Gravées avec du sang et du feu.

N’en levons pas d’autres, car nous avons supporté déjà trop de douleur pour les construire. Merci.

(applaudissements)

Vidéo: RTVE.

Photo: © European Union, 2005. European Parliament.

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