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Le coup d’État postmoderne

Dans le numéro de septembre de Letras Libres, Miguel Aguilar explique un des malentendus liés à la question catalane. D’un côté, il y a la question du financement et l’integration de la Catalogne dans l’ensemble de l’Espagne. De l’autre, il y a l’aventure manifestement illégale enterprise par le gouvernement régional catalan.

C’est cette dérive illégale qui a déclenchée l’action de la justice. On pourrait questionner le moment choisi ou l’habilité du gouvernement national pendant les dernières années, mais on ne peut pas dire qu’il ait péché par excès ou par pyrotechnie. Le mieux pour garder l’autorité, c’est de ne pas devoir s’en servir. Et c’est plutôt un signe de santé démocratique que nos sociétés regardent avec une certaine défiance l’exercice des pouvoirs coercitifs de l’État. Mais, dans le respect le plus strict à la loi, la plus grande prudence et la plus grande fermeté, l’État a le devoir de protéger les droits del citoyens et la loi démocratique.

L’aventure illégale du gouvernement régional ne se limite pas au seul dit «référendum», maintenant suspendu par la Cour constitutionnelle: il s’agit d’un coup d’État postmoderne. Derrière des apparences tantôt kitsch, tantôt cool, il se cache un mouvement national-populiste qui a réussi à mettre à son service plusieurs concepts efficaces. On peut signaler le prétendu «droit à décider», en realité un euphémisme du bien connu principe d’autodetermination; la confusion entre la démocratie et le vote; le prestige de la rébellion par rapport à l’establishment (bien que, dans la sécession catalane comme dans le Brexit, la rebelion est dirigée par un establishment contre un autre, mais ceci n’est pas important); la curieuse idée que la démocratie devient automatiquement dictature quand ce ne sont pas «les nôtres» qui gagnent, mais les autres. Comme l’a bien écrit Fernando Vallespín, on a fait possible que chacun projetât sur la sécession son utopie particulière, choisissant la partie de la réalité qui le plaisait le moins, tout en poussant la cause qui le tenait plus au coeur.

Pour certains, c’était une protestation contre les politiques d’austérité, bien que les leaders du «procés» [mouvement séparatiste] aient été les premiers dirigeants en les implementer en Catalogne, au début de la crise; c’était, disait-on, un mouvement de gauche, bien que ça se présentait comme une alliance entre la droite conservatrice catalane, une partie des communistes et un parti anti-système, et bien que ça était, dans ses objectifs, un mouvement contre la redistribution, par lequel les plus riches essaient de se débarrasser des plus pauvres. C’était, disait-on, une manière de s’intégrer plus en Europe, bien que l’Union européenne ait dit que, même si la sécession de la Catalogne réussissait, le nouvel État se trouverait en dehors de l’Union; c’était une réaction contre la corruption, bien que le nationalisme catalan qui l’a dirigée ait consolidé son pouvoir à travers des réseaux clientélistes et de corruption parmi les plus puissantes de l’Espagne. Le séparatisme s’est presenté comme la seule voie de sortie d’une Espagne qui refuserait de se réformer, bien que les forces séparatistes aient fait toujours partie déterminante du bloquage; comme un mouvement de défense des droits civils, bien que le seul droit reclamé est celui de dépouiller des siens au reste. On a fait passer le mouvement séparatiste par un projet démocratique fort, bien qu’en son nom on ait assisté à des actes d’harcèlement et vandalisme contre des partis contraires à la sécession, on ait vu des responsables de la Generalitat [gouvernement régional] attaquer des journalistes, on ait fait approuver une loi de «transitorietat» («du transitoire») qui supprime tout court l’indépendance judiciaire et abolit la division de pouvoirs, on ait bafoué les droits de l’opposition au Parlement régional et on ait entendu des partis de la coalition gouvernementale séparatiste appeler publiquement a «marquer» ceux qui ont et qui expriment des idées différentes aux siennes.

Il y avait la perception que tout cela était juste une sorte de déclaration d’intentions, rien que des mots, la tactique séparatiste étant de mener la transgression suffisamment loin comme pour faire réagir l’État. N’importe quelle réaction pourrait être présentée comme disproportionnée, selon le calcul séparatiste: ça devrait permetre que ceux qui aujourd’hui attaquent l’État de droit, puissent se présenter comme des martyrs de la démocratie. À la fin, une arrestation est bien plus visuelle et facile à diffuser et viraliser que quelque chose d’abstrait comme des atteintes à plusieurs niveaux des droits politiques des citoyens.

La réalité, c’est que le séparatisme s’est construit un ennemi imaginaire contre lequel il lutte: une Espagne autoritaire, non démocratique, ou la Catalogne n’aurait pas un haut degré d’autonomie politique. Une Espagne qui ne serait pas une démocratie avancée, comparable à celle des voisins européens. Ce pays imaginaire est une Espagne grossière et arriérée, mais qui reste au même temps machiavélique et implacable. Le folklorisme de cette image colle bien avec l’idée qui se fait encore une partie de la presse internationale: on dirait que certains éditorialistes et certains correspondants sont réstés à l’époque d’Ernest Hemingway en ce qui concerne l’Espagne. Mais force est de constater que cette idée n’aurait eu tant de succès, il n’aurait pas été si facile de  la vendre à l’éxterieur, si nous, les Espagnols, n’y eussions pas nous-mêmes cru, si nous n’eûmes pas contribué a la promouvoir en quelque sorte.

C’est bien cette image que le séparatisme tente d’activer. Mais elle est fausse et il faut donc la combattre. Il s’agit d’un imaginaire qui renvoie à la guerre d’Espagne, mais le parallèle qui fait de l’État constitutionnel et démocratique d’aujourd’hui comme un héritier du franquisme qui essaie d’anéantir la démocratie ne tient pas. En ce moment, c’est le gouvernement régional catalan qui attaque la loi démocratique, et c’est l’État qui la défend. En ce faisant, l’État protège, d’abord, les droits démocratiques des citoyens catalans.

Comme les défenseurs du Brexit en Anglaterre, ou ceux de Trump aux États unis, les partisans de la séparation ont fait du mensonge un axe centrale de son stratégie, et ont fait des promesses délibérémment mensongères. El País démasque, dans cet éditorial, le récit mensonger que le président régional Puigdemont a fait d’après les actuations judiciaires de la Guardia civil (Gendarmerie). Artur Mas, son prédécesseur, s’était publiquement vanté de son stratégie dirigée à «tromper l’État», même si cela voulait dire tromper les catalans qui ne sont pas séparatistes, et aussi ceux qui en sont partisans. On les trompe quand on parle d’un État autoritaire, des prisonniers politiques, de mouvement démocratique, de suppression de la liberté d’expression. C’est possible que certains des propagateurs se sont convaincus de ses propres mensonges, comme cela arrive parfois aux menteurs les plus habiles. Parfois, ils ont même réussi à nous imposer son language: on parle couramment des «catalans» pour désigner les seuls séparatistes, comme si le reste (qui est majoritaire, d’ailleurs) n’existait pas; et des «unionistes», comme s’il s’agissait de deux options symétriques. La distorsion du language est arrivée si loin que, au moment de commencer à chercher des solutions, il va falloir pas seulement du bon sens, du respect aux lois et aux minorités, de la bonne foi et une grande quantité d’intelligence politique. Il nous va falloir aussi amener des dictionnaires, pour nous rappeler que les mots ont un sens et qu’on ne peut pas les tordre infiniment, en toute impunité.

 

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