Publié à l’origine en espagnol. Joaquim Coll. Crónica Global.
Nous sommes quelques-uns à avertir, depuis des années, de la stratégie insurrectionnelle du séparatisme, jusqu’à ce que la réalité incontestable de ces jours-ci ne nous donne tristement raison.
Bien que la manipulation et les mensonges poussent souvent des sociétés cultivées vers le désastre, cette fin bien sûr n’est pas écrite à l’avance. Mais pour pouvoir l’éviter il faut prendre conscience que le pire peut aussi arriver. Disons-le clairement : le pire scénario peut finir par se produire en Catalogne. La possibilité d’un choc armé a cessé d’être une hypothèse inconcevable pour se transformer en quelque chose de plausible s’il advient dans les prochains jours une déclaration unilatérale d’indépendance. Le Gouvernement de Mariano Rajoy a eu de nombreuses occasions de tuer dans l’œuf ce scénario, mais il n’a pas voulu le voir. A présent, il apparaît clairement que le discours de « la prudence, la mesure et la proportionnalité » de la Moncloa ne répondait à aucune stratégie, mais cachait seulement son incapacité à anticiper ce qui était en gestation en Catalogne. Rien n’a été fait, et maintenant le Gouvernement espagnol ne peut plus agir que de façon réactive au beau milieu d’un contexte socialement révolutionnaire après le 1-O.
La possibilité d’un choc violent vient de la position ambigüe des Mossos, un corps armé d’un effectif de plus de 15.000 policiers régionaux, dont la loyauté à l’ordre constitutionnel est plus que douteuse, au sommet comme parmi les hauts responsables. Ce n’était pas le cas il y a quelques mois quand Albert Batlle occupait la direction générale de la police autonome catalane avec Jordi Jané au poste de conseiller de l’Intérieur. En juillet ils furent relevés de leurs fonctions et remplacés par deux indépendantistes radicaux, Pere Soler et Joaquim Forn. Mais il n’y a pas eu uniquement un changement dans la direction politique, il s’est également produit en très peu de temps une altération substantielle de la relation des Mossos avec l’indépendantisme après deux événements clé : les attentats terroristes du mois d’août et le référendum de dimanche dernier. Les attaques djihadistes de Barcelone et Cambrils furent utilisées par le Govern de Puigdemont pour s’approprier symboliquement les Mossos. Le Parlement catalan, au lieu de créer une commission d’investigation pour savoir exactement comment il avait pu y avoir tant d’erreurs dans la prévention du terrorisme, courut les décorer sans la moindre critique, tandis qu’elle marginalisait la Police Nationale et la Guardia Civil. Le clergé du souverainisme encouragea au maximum l’autocomplaisance des Mossos pour les séduire comme la police du “nou país” (nouveau pays). Nous ignorons jusqu’à quel point cela influa, mais la psychologie humaine est assez vulnérable aux éloges, et la police aussi.
L’autre moment déterminant fut dimanche dernier. Ce qui s’est passé est dans les esprits de tous. Le mayor Josep Lluís Trapero suivit la maxime de « j’obéis mais je n’accomplis pas », et tendit un habile piège au colonel de la Guardia Civil, Diego Pérez de los Cobos, qui essaya de respecter, de façon improvisée et maladroite, les ordres du Tribunal Supérieur de Justice Catalan (TSJC) le matin du 1-O. Le gâchis causé par certains excès policiers, qui méritent une commission d’enquête au Congrès et la démission du Ministre de l’Intérieur Juan Ignacio Zoido, a été dévastateur dans la société catalane, incendiée par une cascade d’images. De façon incompréhensible, le Gouvernement espagnol a donné crédit au récit du séparatisme sur la répression des forces de sécurité de l’État, déjà désignées comme des forces d’occupation, au point qu’il est maintenant possible de les harceler à volonté dans des communes comme Calella, Pineda ou Reus.
Les Mossos, en revanche, sont devenus la police patriotique, à qui l’on offre des œillets et des applaudissements. Sans aucun doute, tout cela ne peut qu’altérer le comportement de nombreux Mossos qui sont idéologiquement loin du séparatisme, mais qui peuvent être incités à suivre les ordres de leurs dirigeants politiques lorsqu’ils devront décider d’adhérer ou non à la nouvelle légalité quand la Déclaration Unilatérale d’Indépendance (DUI) sera prononcée. L’ambiance passionnelle collective est décisive dans ce genre de situations. Et il faut s’attendre à ce que l’Etat espagnol, bien qu’il souffre d’une sclérose dans ses appareils opérationnels et ses services d’intelligence et d’un clair manque de leadership politique, ne va pas se rendre si facilement, le choc armé avec la Generalitat pouvant devenir un scénario inévitable.
Espérons que rien de cela n’arrive, mais imaginons déjà le pire afin de l’éviter.