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Faire face à l’odieux

Photo: Simon Migaj | Unsplash

Publié à l’origine en espagnol: «Hacer frente a lo aborrecible». Soledad Gallego-Díaz. El País.

20 mai 2018

Tôt ou tard, les discours suprématistes d’Europe et d’Amérique finiront par se rejoindre

Mettre en danger les règles d’une démocratie, rendre ces règles de plus en plus floues à dessein, est un jeu dangereux auquel certains sont en train de se prêter avec enthousiasme dans trop de lieux de l’Union Européenne. La propagande politique qui consiste à contrôler les attitudes collectives à travers la manipulation de symboles (certains aussi puissants que celui de « nation ») occupe progressivement l’espace du débat politique, en essayant de banaliser des messages et des idées qui, jusqu’à il n’y a pas bien longtemps, étaient considérés impropres d’une démocratie. Par exemple, la théorie selon laquelle certains groupes humains sont supérieurs à d’autres en raison de leur lieu de naissance, leur langue, leur culture ou leur race réapparaît d’une façon plus ou moins masquée, profitant de la montée de la passion pour la nation. L’histoire prouve, une fois de plus, que l’indifférence face au suprématisme est la pire des attitudes possibles. Que quelqu’un dise publiquement : «Barcelone ne peut pas avoir une maire espagnole ; c’est aussi simple que cela» (en allusion à Ada Colau) ne devrait pas être accueilli par les représentants des forces politiques démocratiques (indépendantistes ou pas) avec un simple haussement d’épaules, mais au contraire avec la ferme volonté de faire face à ces raisonnements odieux.

Il est absolument lamentable que l’on essaie de « normaliser » les écrits du nouveau président de la Generalitat, Joaquim Torra,  ou que l’on minimise leur importance, comme s’il s’agissait de textes mineurs, qui mériteraient seulement une timide réprimande. Quim Torra n’est pas juste un adolescent fâché. Il a 55 ans et une vaste production littéraire. Le problème fondamental est que Torra pense exactement ce qu’il a écrit, et que, malgré cela, il a été élu président d’une institution démocratique, avec le soutien de groupes politiques qui ont des devant eux des preuves irréfutables, mais qui préfèrent détourner les yeux. Ce qui est très grave pour l’Espagne, mais surtout pour la Catalogne, c’est que cela ait pu se produire, et que les indépendantistes n’aient pas réagi dès la première minute en disant : « non, pas de cette façon ». Quelle tristesse qu’il n’y ait pas eu davantage de voix politiques de premier plan au sein du nationalisme catalan pour refuser d’emblée la candidature de Torra ! Mais tôt ou tard, les discours suprématistes qui se répandent en Europe et en Amérique finiront par se rejoindre : pour Trump, les Salvadoriens sont des animaux ; pour Torra, les Espagnols sont des hyènes ; pour Orbán, les Hongrois ne sont pas tous « authentiques » ; pour Kaczynski, ceux qui ne sont pas Polonais apportent des parasites dans le pays…

Ainsi, tout en attendant que les nationalistes catalans commencent à réagir eux-mêmes contre ce genre de messages, il convient de rappeler les éléments rationnels du conflit politiques en Catalogne. En premier lieu, les indépendantistes n’ont pas de majorité sociale et ne l’ont jamais eue, et c’est cela même qui est la cause du conflit. Il est atterrant de voir la capacité de leurs dirigeants à nier cette réalité et l’importance que l’on donne à ce fait dans d’autres domaines, comme si la démocratie n’exigeait pas de compter scrupuleusement les voix et de déterminer les majorités sociales (et, bien sûr, de prendre en compte les minorités). En deuxième lieu, et même si cela ne devrait pas être le cas, en réalité le projet indépendantiste dynamite la Constitution et entraîne la destruction du système démocratiques espagnol. Cela devrait être un élément essentiel de l’analyse que l’Europe devra faire du conflit. Et troisièmement, la stratégie de Mariano Rajoy, reléguant le problème à la justice, a échoué. Il est extrêmement urgent de récupérer l’initiative politique, de reconstruire le dialogue entre Catalans, d’impulser le langage des gestes. Le Sénat ne pourrait-il pas voter rapidement le déplacement de son siège en Catalogne? Dans une situation où cohabitent deux courants politiques « nationaux » opposés, l’expérience montre que celui qui tend à s’imposer est le plus irrationnel. « C’est facile, disait un dirigeant allemand lors de la deuxième Guerre Mondiale, tout ce que vous avez à faire est de leur dire qu’ils sont attaqués et que leur pays court un grand danger ». Cela fonctionne de la même manière partout ». C’est cela qu’il faut éviter.

 

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