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Publié à l’origine en espagnol. ´Nuestro Jörg Haider´. Rafa Latorre. El Mundo.
13 Mai 2018
Quim Torra invite à la caricature. Les journaux parlent de lui comme d’une marionnette, d’un pantin ou d’un épouvantail. On raconte que Carles Puigdemont lui a interdit d’occuper son bureau et qu’il a collé l’étiquette d’intérimaire à sa nomination, dans une vidéo humiliante. Il semble que Torra partage la vocation de ce faible personnage dans les fameuses Pantomime Full : «Oui, oui, oui, j’ai été promu, les conditions sont les mêmes mais on me donne plus de responsabilités».
Pour l’instant, Torra est celui qui s’est prêté à la tâche indigne que la députée Elsa Artadi —qui avait été pressentie pour le poste— n’avait pas pu accepter, mais l’expérience historique invite à la prudence. Il existe trop d’exemples de marionnettes qui ont fini par s’émanciper de leur marionnettiste. Un exemple très proche est Puigdemont, un président circonstanciel qui est finalement devenu providentiel. Il y a des cas plus grandioses, comme celui de Vladimir Poutine, qui a emprisonné tous les oligarques qui voyaient en lui un simple pantin mou. La position donne du pouvoir à l’entreprise et la tentation est puissante.
Le discours suprémaciste et nationaliste de Torra est comparable à celui de Bossi ou de l’extrême droite autrichienne.
Prendre Torra au sérieux, c’est prendre ses textes au sérieux et cela, plus que grotesque, est véritablement effrayant. Sa prose est interchangeable avec celle d’Umberto Bossi, fondateur de la Ligue du Nord italienne. Elle s’inscrit dans la pire tradition politique du nationalisme catalan, et cela signifie beaucoup, celle qui vient des Fuetadas —les coups de fouet de haine, l’antécédent du tweet— que Vicenç Albert Ballester, père du drapeau pro indépendance étoilé, publiait dans La Tralla au début du 20ème siècle sous le pseudonyme Vic y Me, apocope de « Vive l’Indépendance de la Catalogne, et Mort à l’Espagne ». C’est là donc la conception de Quim Torra de la coexistence, de la politique et de la vie. Et c’est cette même idéologie qui faisait titrer à la presse européenne, toujours très sensible, « La montée de l’extrême droite » lorsqu’un Jörg Haider remportait les élections dans la région autrichienne de Carinthie. Tous les deux, Torra et le défunt Haider, partagent la même haine du bilinguisme.
En Espagne, où le dernier groupe terroriste raciste d’Europe vient de se dissoudre, le seuil de tolérance à l’égard des pédagogues de la haine est extrêmement distendu, comme en témoigne la respectabilité culturelle et politique dont a jouit jusqu’ici le nationalisme. L’idée que Jordi Pujol a des Andalous, les traitant d’ « êtres détruits » a été considérée comme une simple extravagance, de même que les graves déclarations de pur défoulement suprémaciste d’Aberri Eguna de Joseba Egibar ont été relativisées en disant qu’elles n’étaient que des « messages de consommation interne ».
Quim Torra croit que les Espagnols sont « sales, fous, paresseux et pilleurs ». Il considère également qu’ils sont « infectieux » pour la race catalane, qui elle par contre est « dévouée et sérieuse ». Il y a deux idées essentielles dans son discours : rien ne doit se soustraire à la réalité nationale, et il ne suffit pas de vivre, ou même d’être né en Catalogne pour être catalan. Torra croit que deux réalités nationales coexistent en Catalogne et que c’est obligatoirement la catalane qui prévaut, même si, selon sa conception des choses, les Catalans sont très minoritaires en Catalogne. Ces deux vecteurs de sa pensée politique sont parfaitement concentrés dans une phrase d’un article qu’il a publié en 2012 dans un journal numérique : « Quand vous décidez de ne pas parler catalan, vous décidez de tourner le dos à la Catalogne ». La langue est un triomphe de la volonté, tout comme les étrangers sont sa défaite. Le fascisme ressemble à cela. Aujourd’hui est un jour parfait pour que la presse européenne retrouve les gros titres avec lesquels elle a reçu Haider.
Le discours de Torra en séance plénière d’investiture samedi au Parlement de Catalogne a été une déclaration de guerre contre l’Etat espagnol : « Nous serons fidèles au mandat du 1er octobre, de construire un État indépendant en Catalogne ». Comparez ce que Quim Torra a dit depuis la tribune avec le discours d’investiture frustré de Jordi Turull, pour comprendre la vraie dimension du défi. « Nous n’aurons aucune excuse pour ne pas travailler sans relâche pour la république », a affirmé Torra avant d’exprimer sa vocation au martyre.
Jean-Claude Juncker aime plaisanter à propos des éléments les plus radicaux auxquels il doit faire face dans les institutions européennes. Il y a quelques jours, il a salué le hongrois Orbain avec un salut à la romaine en lui disant « voici le dictateur » ; peu après il a joué une drôle de danse avec Farage parmi les sièges du Parlement européen. Quim Torra a adressé une partie de son discours au président de la Commission. Voici pour Juncker un nouveau membre de l’amusant club des ultras !