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Le discours après le « procés »

Photo by Johannes Schwaerzler on Unsplash

Publié à l’origine en espagnol: “‘El relato tras el procés”. Ricardo Dudda. Letras Libres.

4 Avril 2018

La négociation est nécessaire pour mettre fin au procès mais ne peut pas se faire sur la base de faux discours

Il existe une célèbre photo du Parlement régional de Valence où les têtes de tous les politiciens du Parti populaire —PP, centre-droit— poursuivis ou condamnés pour des délits de corruption dans le cadre de l’affaire Gürtel apparaissent marquées d’un cercle. Si les principaux dirigeants politiques de Junts per Catalunya —JxCAT, centre-droite indépendantiste, Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), gauche indépendantiste et Candidatura d’Unitat Popular (CUP), extrême gauche indépendantiste— pouvaient se réunir en une seule photo, l’on pourrait faire un exercice à peu près similaire. Dans certains cas, la corruption serait du même ordre de grandeur (sans compter délits de rébellion et désobéissance) : détournement de fonds publics et prévarication. Mais en fait, le mouvement indépendantiste de la Catalogne a déjà fait cette photo de famillle au Parlement régional, en plaçant des rubans jaunes sur les sièges vides des députés emprisonnés ou auto-exilés. Et ce sont les mêmes qui ont voté une loi du référendum illégal avec la moitié du Parlement vide en septembre 2017.

Le mouvement indépendantiste est décapité. Comme Alex Tort l’explique à La Vanguardia, « la structure établie sur la ‘Maison de la République’ de Waterloo —où résidait l’ancien président Puigdemont— ne sert à rien quand Puigdemont est en Allemagne et Jordi Turull et Josep Rull [anciens conseillers de l’actuel JxCAT dans le Gouvernement Puigdemont], qui ont mené les négociations, sont dans la prison d’Estremera ». ERC est dans la même situation : Oriol Junqueras [ancien vice-président], Raül Romeva [ancien conseiller] et Carme Forcadell [ancienne présidente du Parlement régional] sont en prison, Marta Rovira [ancienne Secrétaire générale d’ERC] est en Suisse et Toni Comín [ancien conseiller] à Bruxelles. Pendant ce temps, la CUP, qui lors des dernières élections de décembre 2017 est passée de 10 à quatre députés, s’abstient en exigeant de matérialiser la ‘République catalane’ et ne soutiendra que l’investiture de Puigdemont.

JxCAT insiste dans sa stratégie de défense de Puigdemont, le considérant président légitime. Mais il n’y a pas un discours homogène, et Puigdemont ne peut plus conduire son parti comme prévu, depuis l’étranger, à travers des Skype, des messages WhatsApp et en faisant des grandes mises en scène à Bruxelles pour montrer que c’est lui qui commande. Et pourtant, le Bureau du Parlement de la Catalogne a voté de permettre à l’ancien président, quand il était emprisonné en Allemagne, de déléguer son vote à la députée de JxCAT Elsa Artadi. Le Bureau suppose que, puisqu’il n’est pas un fugitif mais un prisonnier, il devrait être autorisé à cette option, comme d’autres indépendantistes qui sont en prison. Le parti JxCAT est une chasse gardée de Puigdemont, et quand il ne fonctionne pas comme une sorte de cabinet d’avocats pour sa défense, il est tout simplement un navire à la dérive dirigé par des hommes politiques de troisième rang qui jouissent maintenant d’une certaine attention médiatique parce que les autres sont en prison ou ont fui. Le mouvement d’indépendance a une énorme capacité de recyclage de ses leaders : il y a toujours quelqu’un de nouveau prêt à faire face aux circonstances que d’autres ont créées.

ERC vit quelque chose de similaire, mais cherche à former un gouvernement et flirte avec le Partit dels Socialistes de Catalunya —PSC, centre-gauche non-indépendantiste— et Catalunya en Comú —extrême gauche souverainiste—. La nouvelle star d’ERC est Pere Aragonès, un technocrate qui a négocié la FLA (Fond de Liquidité Autonomique) avec l’État espagnol et qui parle maintenant de conclure des accords avec le Gouvernement espagnol. C’est l’espoir du secteur pragmatique du mouvement indépendantiste. Son style conciliant est apprécié, généralement parce qu’il ne fait pas appel à la souveraineté du peuple catalan ou à la rébellion. Aragonès fait les appels au calme nécessaires, mais utilise aussi l’argumentaire de la tactique, classique parmi les indépendantiste : il ne faut pas faire de coups d’État, non parce qu’ils sont anti-démocratiques, mais parce qu’ils ne sont pas utiles pour aboutir à l’indépendance.

Pendant ce temps, le PSC et Catalunya en Comú essayent à conclure des accords et des négociations. Xavier Doménech —leader de Catalunya en Comú — a récemment proposé un gouvernement d’unité, un exécutif indépendant « qui rassemble les différentes sensibilités du catalanisme, du catalanisme progressiste et des démocrates en général ». L’oubli et la paix sont, souvent, préférables aux attaques et au ressentiment, si ce que l’on veut est avancer. Et pourtant, il y a des attitudes qui ne peuvent être définies que comme équidistantes, et qui font réellement rougir. Dans un article paru dans le journal El Periódico, la Secrétaire générale du PSE —Parti socialiste d’Euskadi— Idoia Mendia écrit que « les problèmes sociaux, les défis de l’avenir, ne seront résolus ni par l’indépendance ni par l’unité indissoluble de la nation espagnole ». C’est vrai : rester impassible en défendant l’unité de l’Espagne ne sert pas à résoudre le problème catalan. Mais Mendia semble penser que l’unité de l’Espagne est un concept abstrait, un caprice ou une manie, une chose des centristes et des conservateurs et non un moyen de défendre les droits et libertés de la citoyenneté lorsqu’une minorité tente de les annuler .

L’approbation de la loi du référendum en Catalogne en septembre 2017 signifiait, essentiellement, l’annulation de la Constitution espagnole en Catalogne. Pendant des mois, les droits et libertés prévus dans la Constitution ont été suspendus, sujettes à l’arbitraire instauré par les institutions catalanes. Le 155 —l’article de la Constitutions espagnole qui a permis de suspendre l’autonomie des institutions catalanes— a été approuvé pour rétablir la légalité. Mais il y a un discours qui pose le problème de l’indépendantisme comme s’il s’agissait d’un conflit entre deux côtés égaux, avec leurs manies et leurs rancunes, confrontés à leur absurdité abstraite et capables de les porter aux conséquences ultimes. La négociation est essentielle, mais elle ne peut pas être faite sur la base de faux discours.

Ricardo Dudda (Madrid, 1992) est journaliste et membre de la rédaction de Letras Libres.

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