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« Il n’y a pas d’analogie possible entre le Kosovo et la Catalogne, l’établir n’a aucun sens »

Photo by James Youn on Unsplash

Publié à l’origine en espagnol: “No hay ninguna analogía posible entre Kosovo y Cataluña, establecerla es un sinsentido”. María Antonia Sánchez-Vallejo. El País.

30.Avril.2018

Le Premier Ministre de l’État qui a proclamé son indépendance en 2008 espère que «l’Espagne pourra l’accepter en tant que membre de l’UE»

Le Premier ministre kosovar, Ramush Haradinaj (Glodane, ex-Yougoslavie, 1968), ne se lasse pas de le répéter : «Nous ne reconnaîtrions jamais l’indépendance de la Catalogne. Le Kosovo et la Catalogne n’ont rien à voir, et établir une quelconque une analogie entre les deux situations n’a pas de sens. Le Kosovo est né de la désintégration de la Fédération yougoslave, lors d’un processus sanglant de tous contre tous. Ce n’est pas le cas en Espagne, où les droits civils et politiques sont respectés. On ne peut pas comparer la répression sous le régime de Milosevic avec l’État de droit espagnol ; le faire est même totalement offensant. Et il ne s’agit pas d’ignorer les similitudes, c’est tout simplement qu’il n’y en a pas».  Son expression de sympathie pour l’Espagne semble authentique, peut-être à cause des bons souvenirs qu’il a gardés d’un voyage en Galice dans les années quatre-vingt, ou son voyage de noces à Tenerife en 2003, mais le veto du Président du Gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, à une déclaration conjointe européenne en incluant le Kosovo a atténué ses expectatives avant le sommet UE-Balkans qui se tiendra le 17 mai à Sofia.

Dans une interview à Pristina, où El País s’est déplacé, invité par le Gouvernement kosovar, Haradinaj ne se cache face à aucune question, de la crainte de l’influence russe dans les Balkans, à son passé en tant que commandant de la guérilla de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), mais le casus belli ouvert par l’Espagne monopolise la conversation. Il est conscient qu’à Sofia, il y aura pas de photo officielle, et même peut-être pas de rencontre avec la délégation espagnole, de crainte qu’elle ne soit utilisée par les séparatistes catalans, mais il ne désespère pas : «Je suis ouvert à tout contact, cela serait un honneur de saluer M. Rajoy parce qu’il y a beaucoup de sujets à aborder, par exemple celui de la coopération économique ou culturelle». Haradinaj, chef du Gouvernement d’un pays sans armée et sans monnaie (là-bas on utilise l’euro), dont l’indépendance de la Serbie, déclaré unilatéralement en 2008 après une guerre sanglante, a été soutenue en 2010 par la Cour internationale de Justice, à La Haye, insiste sur le fait que son pays n’a qu’un seul but : s’intégrer dans l’UE, bien que cinq États membres continuent à lui tourner le dos (l’Espagne, la Roumanie, la Slovaquie, la Grèce et le Chypre).

« Le veto de Rajoy est regrettable, car le Kosovo a un grand respect pour l’Espagne en tant que nation et en tant que démocratie consolidée. Comme d’autres pays qui ont émergé de la désintégration de la Yougoslavie, du Kosovo à la Macédoine, nous aspirons à être écoutés et nous espérons qu’un jour l’Espagne nous acceptera en tant que membre de la famille que nous sommes ». Très malheureusement pour eux, les références des sécessionnistes catalans au «modèle du Kosovo» pour parvenir à l’indépendance n’aident pas. « Il n’y a pas d’analogie possible entre le Kosovo et la Catalogne. Établir cette ressemblance signifierait ignorer l’histoire ou mal l’interpréter. L’Espagne est une démocratie avancée. Notre situation a été conséquence de la dissolution, à travers des guerres tragiques, de l’ex-Yougoslavie dans les années quatre-vingt-dix [au Kosovo en 1998-1999]. Il y a une différence abyssale : nous nous sommes battus pour la démocratie, mais surtout pour les droits de l’homme. Ce n’est pas le cas de la Catalogne. »

Tout en affirmant ne pas avoir de nouvelles de la visite de Catalans au Kosovo, ces dernières années pour prendre note de son expérience («non, jamais, pas de visites de catalans, pas de catalans établis au Kosovo … nous n’avons aucune information, ni officielle ni officieuse, que cela puisse avoir eu lieu»), Haradinaj respecte profondément « l’intégrité territoriale et la souveraineté espagnole». «Nous ne reconnaîtrions pas l’indépendance de la Catalogne, en aucune manière», répète-t-il avec insistance. « L’Espagne est un pays admirable, nous ne le respectons pas seulement en tant que nation, pour son histoire et sa contribution à la civilisation mondiale, mais aussi parce que notre population ressent une grande sympathie pour l’Espagne. Nous espérons que vous pourriez nous accepter en tant que membre de la famille européenne. C’est notre destin, pour notre bien et pour le bien commun, parce que plus la stabilité des Balkans occidentaux sera garantie, plus la paix et la stabilité en Europe seront assurées, et moins ses ennemis auront la possibilité de déstabiliser la région, ou de l’utiliser pour saper ou éroder les progrès de l’Europe». 

Madrid doit nous aider à rentrer dans l’UE pour ne pas être un point vulnérable dans la région

Le sommet de Sofia est le premier que l’UE va célébrer avec les Balkans depuis plus de 15 ans, et Haradinaj espère un signe de ses voisins pour compenser le revers de Rajoy. « Le Premier Ministre bulgare, Boyko Borisov, reflète bien la réalité de la région, car il comprend le besoin d’intégration, il est conscient que la Serbie peut progresser si le Kosovo le fait aussi … Un veto ou un blocage au Kosovo ne fera que retarder l’accès de la Serbie et d’autres pays voisins, et permettra aux ennemis de la région de gagner de l’influence et de saper les efforts de Bruxelles dans cette partie du monde. J’espère que tous les pays des Balkans, mais aussi Madrid, nous aideront à rentrer dans la famille pour ne pas représenter un point vulnérable dans la région, susceptible d’être utilisé par ses ennemis. C’est une nécessité et une prière de notre part. De ne pas être vulnérable, de ne pas permettre qu’on utilise le Kosovo pour saper les progrès de l’Europe ». 

Quand il parle d’ennemis, Haradinaj a en tête deux puissances, l’une régionale (la Turquie) et l’autre néo-impériale, globale, la Russie. L’influence d’Ankara se fait sentir fortement au Kosovo : il y a quelques semaines, l’expulsion de six citoyens turcs, qui seraient liés au réseau du religieux Fetulá Gülen —à qui la Turquie fait porter la responsabilité du coup d’État manqué de 2016— a généré une tentative de crise politique à Pristina. «Nous souhaitons avoir des relations amicales avec toutes les nations, mais nous sommes très prudents avec Ankara. La déportation de six citoyens turcs était un malentendu suite auquel j’ai licencié deux hauts fonctionnaires, le ministre de l’Intérieur et le chef des Services de renseignements. Le fait a suscité un débat que j’ai évité de alimenter, un débat encouragé par le Président Erdoğan. Mais nous devons respecter notre Constitution, nos lois et les conventions relatives aux droits de l’homme. Les procédures judiciaires n’ont pas été respectées et c’est pourquoi je suis intervenu. Nous devons apprendre de ce qu’il s’est passé ». 

Quant à la Russie, un pays qui a manœuvré de façon plus ou moins visible  ces derniers temps au Monténégro, en Serbie ou en Macédoine —Putin a fait savoir à Skopje qu’il ne tolérerait pas son adhésion à l’OTAN—, Haradinaj ne cache pas ses craintes. « Nous avons pris parti : nous appartenons à l’Europe et à l’Alliance atlantique. Notre démocratie est jeune, mais notre objectif est de faire partie de la famille euro-atlantique, ainsi que de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis. Nous ne sommes pas dans l’orbite de l’influence russe. Moscou agit également avec prudence, essaie de ne pas déstabiliser ouvertement la région, mais nous sommes préoccupés par certaines activités de son agenda ici ». En Serbie, au Monténégro, en Macédoine? «Tout autour de nous». 

Bien que Moscou agisse prudemment, pas ouvertement, nous sommes préoccupés par certaines activités russes dans les Balkans

Pour pouvoir négocier l’adhésion du Kosovo à l’UE, un processus dans lequel Haradinaj prévoit d’atteindre le statut de pays candidat « d’ici la fin de l’année, ou au début de 2019 » —le Kosovo est actuellement lié à un Accord d’association et de stabilisation, SAA)— Pristina doit répondre aux exigences de l’Accord de Bruxelles, un dialogue avec la Serbie qui a commencé en 2013 sous l’impulsion de l’UE. « Tous les points sont presque terminés mais nous devons parvenir à un accord final et global avec la Serbie ; le cadre existe, mais il n’y a pas d’élan. « L’une des conditions, par exemple, est la création d’une association de municipalités serbes au Kosovo, « de sorte que les Serbes du nord fassent juridiquement et institutionnellement partie du Kosovo et aient des garanties de participer activement aux institutions ». La participation de la minorité serbe (40 000 sur 1,8 million d’habitants) commence également à se faire remarquer dans la future armée kosovare. « Les forces de sécurité du Kosovo ont été capables de prouver ceux qui nous sommes. Il y a quelques semaines, j’ai livré les bureaux à 34 serbes, car ce sont les forces armées de tous, très peu nombreuses et mandatées, des forces de transition … car avoir une armée sera un processus qui prendra du temps. Dans le même temps, nous considérons la présence de la KFOR (forces internationales, dirigée par l’OTAN) comme quelque chose de permanent, pour renforcer la sécurité et la stabilité du Kosovo et de la région ». 

Haradinaj n’évite pas la question la plus embarrassante, l’éventualité d’être poursuivi par le tribunal spécial qui enquête sur les crimes de guerre perpétrés dans la période de 1998-1999, dans lequel il a joué un rôle prépondérant en tant que commandant de l’UÇK. « Je n’ai pas peur. J’ai déjà passé par les plus hautes cours internationales, où j’ai été jugé deux fois, rejugé, et finalement acquitté. Je ne suis pas inculpé par la justice. Néanmoins, je critique deux choses de ce tribunal : premièrement, le fait qu’il soit à l’étranger [à La Haye], avec des experts et des procureurs étrangers, parce qu’il devrait siéger ici ; et deuxièmement, qu’il se concentre uniquement sur les agresseurs de l’UÇK, chez les Albanais du Kosovo. Ce n’est pas acceptable du point de vue de la légalité internationale. Il devrait enquêter sur tous les agresseurs et toutes les victimes sans distinction ethnique, mais il est trop tard pour corriger cela ». »

Dès le début de sa carrière politique, Haradinaj, tout comme le Kosovo, a été fortement soutenu par Washington. « Nos relations sont loyales et de confiance. Les États-Unis a un agenda global important et ils seraient ravi de passer le relais à Bruxelles, mais leur rôle est encore nécessaire ici, parce que les Balkans ne sont pas encore stabilisés, donc il est mieux qu’ils y restent ». Comme contrepartie institutionnelle et administrative, plutôt que politique, une UE un peu étourdie, à l’avis des plus critiques, retourne avec son rendez-vous de Sofia à une région qui a toujours été épineuse. « Nous ne comprenons pas la division dans l’UE sur les Balkans, il est surprenant que certaines nations ne saisissaient pas l’occasion de faire des affaires dans la région et d’aider à résoudre définitivement la situation. Pour l’UE, je pense qu’il serait plus approprié de fermer le dossier des Balkans ici avant d’affronter d’autres défis dans le monde. Le fait qu’il y ait cinq pays membres qui ne nous reconnaissent pas montre qu’il reste des problèmes à régler. Un blocage au Kosovo équivaut à un blocage contre tous les pays de la région. J’espère que toutes les différences d’aujourd’hui n’empêcheront pas de développer une politique d’avenir inclusif. Il est très bien d’ouvrir les négociations d’adhésion pour l’Albanie et pour la Macédoine, mais il faut le faire aussi pour le Kosovo ou la Bosnie-Herzégovine … Il faut aller dans le même sens pour tous ».

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