Publie à l’origine en espagnol. Rafael García Maldonado. El Mundo.
Je me plais aux choses les plus stupides du monde. Il y a certains – trop – qui s’enflamment et qui pleurent quand ils parlent d’une région devenue indépendante du monde moderne ; moi j’aime bien quand on me traite de « sudiste » à l’occasion d’une interview ou d’une critique : l’écrivain sudiste Maldonado, etc. J’aime bien ça pour deux raisons : parce que je suis plutôt content de la région du monde dans laquelle je suis né et où ma famille habite depuis des siècles, et parce que l’une de mes grandes références littéraires, William Faulkner, était aussi un écrivain du Sud. Le Sud de Faulkner, c’est vrai, était juste le contraire du Sud de l’Europe, un Sud xénophobe, classiste, avec des racines pseudo-féodales et médiévales. Un Sud qui continue à nous épouvanter pour son racisme et où certains misérables y vont chercher de l’inspiration pour leurs métaphores : par exemple, quand un mesquin comme Otegi utilise l’héroïque Rosa Parks pour ses réclamations infâmes. Un Sud, l’Américain, qui a aussi décidé de se séparer de l’autre partie du pays (1861-1865), d’aller à une guerre contre un Nord gouverné par les principes du libéralisme illustré, une économie ouverte et des droits humains naissants. Un Sud qui, pour comble de malheurs, accusait le Nord de lui voler son pain, avec des hausses de prix de la production liées à l’abolition de l’esclavage, et de torpiller avec leur garantisme légal la vie des illustres propriétaires des grandes exploitations du Sud qui vivaient tranquillement avec leurs esclaves et leurs richesses. Des hommes, des propriétaires, qui, comme Jefferson lui-même, avaient rapidement oublièrent qu’ils avaient gagné la guerre contre le roi britannique avec le progrès et la modernité comme principale bannière. La perruque empoussiérée et la Raison étaient pour eux compatibles avec les noirs enchaînés dans les champs de coton.
À la fin de la splendide série Turn: les espions de Washington, le protagoniste, un colon conservateur qui était devenu, à sa jeunesse, un espion des patriotes pendant la guerre de l’indépendance, nous dit quand il est plus âgé qu’il s’est rendu compte trop tard que la vie est grise, que rien n’est tout blanc ni tout noir, que l’on peut trouver des choses effrayantes dans les esprits les plus purs, mais aussi de la bonté et de la grandeur dans la cause contre laquelle ils avaient combattu, que la vie est trop complexe. Comme, dans les traités de capitulation des casaques rouges, Washington ordonna le retour aux plantations sudistes aux Noirs qui avaient fui en profitant de la confusion régnante. Ce Sud là – il ne faut que voir les informations – n’a pas encore pu se faire pardonner d’ avoir été dans le côté sombre et voyou de l’histoire, et c’est grâce à cette faute atroce que Faulkner a pu construire toute son oeuvre, la plus puissante et exigeante du XXème siècle.
En Europe, le Sud (plutôt, le Sud du Sud) est peut-être le contraire de ce Sud des États-Unis, un territoire qui est également vaste et exploité, mais un territoire qui est ouvert, tolérant, solidaire et détaché de tous les sentiments de supériorité, d’isolement et de xénophobie. La meilleure chose du Sud, c’est qu’il s’est vite rendu compte que le nationalisme est synonyme de guerre, de mal, de haine et de destruction, plus encore dans un monde globalisé.
Je pensais à tout cela la nuit dernière, fâché comme je suis depuis un certain temps avec les tristes événements que nous sommes condamnés à vivre en Espagne, car il est clair que chez nous le rôle des américains du Sud a été adopté par les personnes de l’est du Nord, un territoire riche et prospère depuis les libéralisations centralistes bourboniennes du XVIIIème siècle mais qui, dans sa folie, demande maintenant des privilèges et des régimes plus propres du Moyen Âge, que si acharnement défendaient les confédérés américains. Un territoire riche, le sien, où la corruption est similaire ou plus grave encore que dans le reste de l’Espagne, et où les dernières générations ont été élevées dès leur plus petite enfance dans la haine vers les personnes du Sud, ceux de l’Andalousie et de l’Estrémadure, qui –n’oublions pas- sont déguisés de paresseux, culottés et voleurs, des gens de deuxième ou même de troisième classe, tout comme les Noirs étaient pour les petits seigneurs de l’Alabama et de la Géorgie. Ce n’est pas nécessaire de le démentir, mais peut-être faut-il une narration épique de combien de bon le Sud a en termes de solidarité moderne et ouverte, de savoir-vivre tout en laissant vivre les autres, et tous ceux qui veulent nous accompagner, sur le chemin incertain de la vie ensemble, toujours complexe et toujours plein d’incertitudes.
Il y a un écart très large entre ce monde du dix-neuvième siècle et celui d’ici et maintenant, mais il y a aussi des similitudes. Une scène d’Autant en emporte le vent peut servir à illustrer, métaphoriquement, ce qui aura lieu en Espagne après le 1er-O, le vacarme et la fureur : c’est la scène des Yankees qui profitèrent de leur supériorité morale, née de leur victoire sur la xénophobie et l’esclavage, pour piétiner les habitants du Sud, ses propriétés et ses terres, s’enrichissant et laissant le Sud vaincu. Il y a un avide négociant du Nord qui n’écarte pas son tilbury et son cheval quand il approche un couple de propriétaires stupéfaits, sur le point de leur marcher dessus. Personne ne va marcher sur personne, et personne ne va profiter d’un échec, mais ce que l’on trouvera certainement après le défi catalan ce sera des gagnants et des perdants ; des personnes qui auront gagné avec les armes de la raison, avec la démocratie et avec ceux que souffrent l’histoire (Camus), et des gens qui auront été du côté égoïste et misérable de l’histoire, ce côté qu’un jour viendra raconter, encore embarrassé, un Faulkner qui sera né à Tarragone.
Photographie: Miranda Pederson. Wikimedia Commons.