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Le nationalisme de Torra et Milosevic, la seule chose qui la Catalogne et la Slovénie ont en commun

Photo by Jean-Guy Nakars on Unsplash

Publié en espagnol sous le titre: “El nacionalismo de Torra y Milosevic, lo único que une a Cataluña y Eslovenia”. Ana Alonso. El Independiente.

10 dicembre 2018

Sept différences entre le processus d’indépendance catalan et la voie slovène qui a conduite à une guerre qui a duré dix jours et fait 62 morts

Dans les années 90, les Européens ont assisté aux guerres des Balkans, au cours desquelles des centaines de personnes comme vous et comme moi sont morts. Jamais auparavant ils ne s’étaient imaginés se battre entre frères. Le nationalisme a été exacerbé par la mort du maréchal Tito dans les années 1980 et la décomposition de l’Union soviétique, après la chute du mur de Berlin en 1989, a favorisé la désintégration de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

La Slovénie était l’une des nations qui ont émergé après ce processus sanglant. Le président de la Generalitat catalane, Quim Torra, a évoqué «la voie slovène» comme exemple pour la Catalogne. Le gouvernement espagnol a répondu: «Ni la Catalogne n’est ni la Slovénie, ni l’Espagne n’est la Serbie.»

«Les Slovènes ont été déterminés, ils ont décidé de s’autodéterminer et de progresser sur la voie de la liberté, avec toutes les conséquences qui pourraient en résulter, jusqu’à ce qu’ils l’ont achevé … Faisons comme eux, reconnaîtrons qu’il n’y ait pas de pas arrière et soyons prêts à tout pour vivre librement», a déclaré Torra. «Prêt à tout». Dans le cas de la Slovénie, nous parlerions d’une guerre qui durera dix jours et fera 62 morts, des centaines de blessés et des milliers de détenus.

«La seule chose qui unit la Catalogne et la Slovénie est le nationalisme essentialiste de Torra et le dirigeant serbe, Slobodan Milosevic», a déclaré Ruth Ferrero-Turrión, professeure de sciences politiques à l’université Carlos III. Avec cette experte des Balkans, nous discutons des différences entre la Catalogne et la Slovénie:

1.- L’histoire : La Slovénie était l’une des républiques fédérées de la Yougoslavie. Avec seulement deux millions d’habitants, son extension équivaut aux deux tiers de la Catalogne, qui compte 7,5 millions d’habitants. Il faisait partie de l’empire Austro-hongrois et fait frontière avec l’Italie, l’Autriche, la Croatie et la Hongrie. Il faisait partie du royaume des Serbes, Croates et Slovènes au début du 20ème siècle. Il a souffert l’occupation nazie et des fascistes italiens pendant la Seconde guerre mondiale. Après la défaite de l’Axe, la Slovénie est devenue une partie de la République populaire fédérale de Yougoslavie.

La Catalogne est une communauté autonome de l’Espagne, considérée comme une nationalité historique dans l’État espagnol. Une démocratie consolidée, dont la constitution vient de fêter ses 40 ans, l’Espagne fait partie de l’Union européenne depuis juin 1985.

2.- Le contexte international : La chute du mur de Berlin en 1989 a changé l’Europe, telle qu’elle avait été configurée après la Seconde guerre mondiale. Quand l’Union soviétique s’est effondrée, la nouvelle carte de l’Europe s’est dessinée. L’union allemande est née en 1990. Cependant, la Yougoslavie de Tito ne peut pas résister aux tensions nationalistes et se démembre.

À l’heure actuelle, l’Union européenne souffre de la montée du nationalisme populiste. Ils ont d’abord réussi à convaincre les Britanniques de voter pour le Brexit, sans disposer des outils nécessaires pour appliquer cette mesure, puis ils ont pris position au sein des gouvernements autrichien, hongrois, italien ou belge (où ils viennent de quitter le Cabinet en raison de la question de l’immigration), entre autres. En Espagne, le nationalisme catalan a donné des ailes, selon de nombreux experts, au succès d’un parti d’extrême droite tel que Vox.

3.- Droit à l’autodétermination : La Constitution yougoslave de 1974 reconnaissait le droit à l’autodétermination des républiques fédérées, c’est-à-dire, la Slovénie pouvait légalement organiser un référendum. La Catalogne ne peut pas le faire. Slobodan Milosevic, le dirigeant ultra-nationaliste serbe, s’est opposé au vote des Slovènes en décembre 1990.

4.- La Yougoslavie n’était pas un État démocratique : La Yougoslavie était une république de républiques non démocratiques à parti unique. Rien à voir avec l’Espagne actuelle. «L’État yougoslave n’était pas démocratique, c’était une république populaire à parti unique. Le rôle du leadership influence beaucoup. Jusqu’à sa mort, Tito réussit à maintenir toutes les républiques ensemble. Mais lorsque les dirigeants nationalistes ont pris le pouvoir et que le mur est tombé, les républiques les plus industrialisées telles que la Croatie et la Slovénie ont voulu adhérer à l’Union européenne «, a déclaré Ruth Ferrero-Turrión.

5.- Référendum légal, avec une participation et une approbation massives : Les premières élections démocratiques dans l’ancienne République yougoslave de Slovénie ont donné la victoire aux opposants aux communistes, les Démos. Ils organisent un référendum le 23 décembre 1990. 93,2% de la population y participe. 88,5% des électeurs ont soutenu l’indépendance. Considéré comme valide après avoir surpassé la barrière du 50% de la participation, il respectait les conditions requises. L’indépendance n’a pas été déclarée immédiatement parce que la loi slovène a prévu six mois pour mettre en œuvre la souveraineté du nouvel État. Le 25 juin 1991, la Slovénie a déclaré son indépendance en même temps que la Croatie, qui l’a fait unilatéralement.

La consultation illégale en Catalogne du 1er octobre 2017 a atteint une participation du 43%. Le oui à l’indépendance a gagné par 90%. Aucun pays n’a reconnu ni le vote en Catalogne, ni le résultat.

6.- Reconnaissance internationale : La Slovénie avait du soutien international. L’Allemagne a reconnu la Slovénie, l’Autriche et le Vatican également. Même aujourd’hui, on se demande si cette reconnaissance rapide était adéquate pour le processus, puisqu’elle a court-circuité toute négociation.

Ruth Ferrero-Turrión met en valeur la position de l’Espagne, qui a défendu la voie européenne. «Toute la capacité de pression de l’UE a été évaporée par la reconnaissance de la part de ces pays», a déclaré l’expert. Le ministre espagnol Miguel Ángel Fernández Ordóñez, de sa part, a défendu une procédure rapide pour l’entrée dans l’Union européenne, mais ce n’a pas été possible. La Slovénie est membre de l’UE depuis le 1 er mai 2004. Elle fait également partie de la zone euro.

Au contraire, la Catalogne a tenté par tous les moyens d’obtenir un soutien international mais ne l’a pas atteint. L’Union européenne a soutenu l’intégrité territoriale de l’Espagne et a invoqué le respect de l’état de droit face à l’indépendance. Torra, qui était en Slovénie cette semaine, n’a pas non plus reçu de soutien. Le président Borut Pahor l’a reçu, mais a souligné: «En ce qui concerne le processus de souveraineté, il s’agit d’une question entre le peuple catalan et le royaume d’Espagne, dans lequel la Slovénie ne veut pas intervenir. »

7.- La guerre des Dix jours : L’Armée populaire de Yougoslavie a immédiatement réagi militairement en envahissant la Slovénie. «Le fait que l’armée fédérale yougoslave soit composée de Slovènes, de Serbes, de Croates, de Monténégrins, de Macédoniens … et que l’armée de l’air l’était essentiellement de Slovènes a était essentiel. Ils ne voulaient pas bombarder la Slovénie «, explique la professeure de sciences politiques.

Le conflit a duré dix jours et la plupart des victimes étaient des militaires qui ont perdu leurs vies aux frontières italienne et autrichienne. L’accord de Brioni, signé entre Belgrade et Ljubljana, a mis fin à la guerre. Milosevic était plus intéressé par un autre flanc, le croate, où il existait une importante minorité serbe.

L’Armée fédérale a accepté de se retirer et la Slovénie a attendue trois mois avant de pouvoir rendre son indépendance effective. «Si nous avons attendus 100 ans, nous pouvons attendre encore trois mois», a déclaré Lojze Peterle, alors président du gouvernement slovène. Sans l’aide de l’Allemagne et de la confrontation entre la Croatie et la Serbie, cela leur aurait coûté encore plus de vies.

La violence n’est pas une façon de faire de choses en Espagne. Même si on l’appelle voie slovène ou voie yougoslave.

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