Photo: Nicole Mason | Unsplash
Publié à l’origine en espagnol: ‘Torra y el valor de las palabras’ José Andrés Rojo. El País.
22 mai 2018
Derrière le discours de Torra on peut imaginer une république suprématiste où la xénophobie est le moteur qui fait bouger ses rouages.
Tout va très vite. On avait à peine assimilé l’impressionnant étalage d’idées xénophobes exhibées par le nouveau président de la Catalogne, qu’il avait déjà commencé une série de gestes qui ne semblaient destinés qu’à masquer son obscur passé sous un épais brouillard. Le premier de ces gestes fut la conférence de presse à Berlin avec Carles Puigdemont. Ensuite, il organisa une cérémonie de prise de possession de son poste très intime, presqu’en cachette, destinée à minimiser l’importance de l’institution qu’il va présider, et laissant entendre à travers ces célébrations timorées le message suivant : « je ne suis ici que de passage ».
Le troisième acte a été la formation du Gouvernement, une provocation soigneusement étudiée qui peut servir à renforcer son leadership avec une forte dose de victimisation. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil : le procés continue. Rien ne semble avoir changé.
Rien ? Est-il vrai que rien n’a changé ? Tout va très vite et le brouhaha actuel masque les choses, mais il faut s’arrêter un instant et revenir en arrière. Alors on se rend compte qu’en réalité, avec Torra, les choses ont changé. Jusqu’à présent, avec la rupture des règles du jeu et la violence institutionnelle, ce qui était sur le champ de bataille était une partie des Catalans indépendantistes luttant contre un État dans lequel ils ne se sentaient pas à l’aise.
Ce qui se passe maintenant, et c’est pour cela qu’il est important de donner aux mots leur juste valeur, c’est que l’homme auquel a été confié le Gouvernement de la Generalitat catalane pense que ce qui est en jeu est la lutte d’un peuple supérieur, les Catalans, contre les barbares qui vivent dans le reste de l’Espagne et même à l’intérieur des frontières de la Catalogne —comme s’il s’agissait d’une pustule—. On a voulu enlever de la valeur aux mots de Quim Torra, comme s’il s’agissait de simples broutilles de cours de récréation. Ce n’est pas du tout le cas.
La république que l’on peut imaginer derrière son discours est une république suprématiste qui affirme, d’une manière presque infantile, qu’il y a des races supérieures aux autres, et une république où la xénophobie est le moteur qui fait bouger ses rouages. Les choses ont bel et bien changé : maintenant il ne faut plus se focaliser sur le Gouvernement espagnol, ni même sur les Catalans constitutionnalistes, mais justement sur les indépendantistes. C’est donc cela, la république voulue par ce qui reste des libéraux du PDeCAT [droite indépendantiste] et par les vieux gauchistes d’ERC ? Est-elle cette république que les anticapitalistes de la CUP vont défendre en descendant dans la rue ? Les mots de Torra ne sont pas des mots écrits sur le sable que la mer va estomper : ce sont des mots qui ont été prononcés pour rester dans les entrailles d’un projet. Et c’est maintenant à ceux qui le soutiennent de les effacer.