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Publié à l’origine en espagnol: “El pacto con el nacionalismo se ha acabado”. Manel Manchón. Crónica Global.
05.05.2018
Voilà, c’est fini. Cela pourra durer encore un certain temps, pendant une période de transition, où tout sera encore possible, où l’on aspirera à ce que l’on a vécu, où l’on réclamera une sorte d’oubli, un genre de « il ne s’est rien passé ici, on peut continuer comme avant». Mais c’est fini maintenant. La volonté, totalement irresponsable, d’une partie de la société catalane de mettre le pied sur l’accélérateur, alors que ceux qui circulaient dans le véhicule n’étaient pas préparés et ne voulaient pas aller aussi loin, a brisé un consensus qui prétendait être une grande victoire de l’ensemble de la Catalogne. Le journaliste Jaume V. Aroca a réfléchi à ce sujet dans un article audacieux intitulé « Apprendre à vivre avec un cœur brisé ».
Personne ne détient la vérité, personne ne sait ce qui peut arriver vraiment, et certes l’on peut toujours voir les facteurs qui nous invitent davantage à l’optimisme plutôt qu’au désespoir. Mais l’indépendantisme n’est pas conscient de ce qu’il a suscité, il ne sait pas qu’il a brisé un consensus qui, de fait, bénéficiait en grande partie à ses positions. L’erreur est sidérale, et quelqu’un comme Jordi Pujol le sait bien. Le problème est que tous les Pujols de Catalogne ne peuvent plus maintenant arrêter ni influencer un mouvement qui a complètement cru à leurs mensonges, et que maintenant, à court ou moyen terme, ils se retrouveront face à la réalité, et cette réalité ne va pas leur plaire du tout.
Il s’avère qu’il y a eu une intégration, mais qui a fonctionné plutôt de façon passive. C’est-à-dire que le nationalisme a marqué le rythme, et que la majeure partie de la société a progressé grâce à ce que toutes les avancées obtenues étaient globalement bénéfiques pour l’ensemble de la population catalane. Beaucoup d’électeurs de gauche, ceux qui ne votaient pas aux élections régionales, n’avaient pas d’états d’âme à admettre que le pujolisme était positif pour la Catalogne, bien qu’ils n’appréciaient pas Jordi Pujol, et qu’ils ne regardaient jamais la télévision régionale TV3, sauf pour regarder les matchs du Barça, ou du Madrid —quand la télévision régionale diffusait les matchs de la Ligue de football— . En résumé, ces personnes ne ressentaient pas particulièrement d’hostilité envers ce nationalisme, mais elles ne défendaient pas non plus ses thèses de manière active.
Le problème va venir maintenant, quand une nouvelle société, de nouvelles cohortes qui n’ont pas le souvenir de ce que le catalanisme a signifié, qui ne se sentent plus représentées par les partis de la transition démocratique, demanderont la redistribution des cartes. Quand ces jeunes et les personnes d’un âge moyen qui se sont sentis trahis par cette indépendantisme qui —sous couvert du nationalisme— leur avait vendu l’intégration et le nivellement des droits, exigeront un nouveau consensus sous d’autres catégories : gouverner pour les citoyens, sans politique identitaire, avec plus de pragmatisme, moins de rhétorique sur le peuple catalan et plus d’anglais.
En d’autres termes, quand les gens demanderont un nouveau contrat social dans lequel la défense de l’identité catalane ne sera plus considérée comme quelque chose de nécessaire et d’indispensable, qui doit être sauvée à tout prix, parce qu’elle a été historiquement lésée. Et si cela se produit —et on le verra dans les années qui viennent— la faute sera à cette indépendantisme qui a voulu aller bien trop vite, sans être conscient de tout ce qu’il avait obtenu, sans voir qu’une grande partie de la société catalane était avec lui, non pas avec grand enthousiasme, mais qui était à peu près d’accord, tant qu’on ne lui serrait pas trop la vis.
Le catalan dans les écoles, sans rien revoir de la politique d’immersion ? Nous verrons bien. Les médias publics avec une vision unique de ce que devrait être la société catalane ? Nous verrons bien. Les subventions publiques à toutes sortes d’entités pseudo-culturelles qui défendent aussi une seule idée de la façon dont il faut être catalan ? Nous verrons bien. Tout sera remis en question. Tout cela va faire l’objet d’une discussion. Et personne ne voudra céder. Et c’est à ce moment-là que le conflit viendra vraiment. Est-ce vraiment cela que l’indépendantisme voulait ?
Le politologue Oriol Bartomeus l’explique dans son livre « Le tremblement de terre silencieux », dans lequel il signale qu’un nouvel électeur est en train d’arriver. Bartomeus dit : « Un autre aspect important chez ce nouvel électeur sera sa distance sentimentale par rapport au système politique actuel, ce qui l’éloignera des acteurs de ce système, c’est-à-dire des partis qui ont dominé la scène électorale depuis 1977 ». Ce qui marque tout cela finalement est un changement de génération, et avec lui un changement politique. Et n’est-il pas significatif, au-delà de la conjoncture, que le 21 décembre 2017 ce soit le nouveau parti de centre anti-indépendantiste Ciudadanos qui ait gagné les élections? Et s’il-vous-plaît, laissez de côté vos préjugés et analysez donc les données : où gagne-t-il, dans quels quartiers, dans quels contextes socio-économiques ? Et réfléchissez-y.
L’indépendantisme ne sait pas ce qu’il a fait. Il ne sait pas qu’il va forcer une nouvelle distribution du jeu, et, comme l’a dit Jaume V. Aroca, une redistribution « à parts égales », sans que ne serve plus à rien cette espèce de colle qui jusqu’à présent était le catalanisme. Alors que justement il faudrait continuer à compter avec ce liant.
Quelle immense erreur, Mesdames et Messieurs les indépendantistes, même si peut-être les temps qui arrivent maintenant vont comporter de nombreux éléments positifs. Le paradigme nationaliste a pris fin, le pacte qui jusqu’à présent avait été signé avec ce nationalisme est bel et bien terminé.