Publié à l’origine en espagnol. Andrea Mármol. The Objective
Des dizaines de milliers de débutants sont hier [dimanche 8 octobre] descendus dans la rue à Barcelone. On pouvait deviner la manque d’expérience dans l’exercice dans mille détails sans importance : des drapeaux mal noués, beaucoup trop de slogans différents, qui ne suivaient pas le rythme, et beaucoup de personnes qui s’approchaient à la manif, toutes seules, sans trop savoir quoi faire ou à qui se diriger, mais intimement convaincues depuis quelques jours qu’il fallait absolument y aller, ne pas rater ce qui allait se passer à la capitale catalane.
Ce n’est pas facile de nous faire descendre à la rue et chanter des slogans politiques, nous qui nous méfions des mobilisations populaires face aux institutions de la démocratie parlementaire. Beaucoup des Catalans qui sommes opposés à la séparation nous sommes exprimés, sans doute, avec nos voix : il faut juste réviser les résultats des dernières élections régionales. Néanmoins, beaucoup d’entre nous avons compris que la manifestation d’hier [le 8 octobre] n’avait pas vocation à répliquer celles du nationalisme catalan ; elle était juste un acte d’affirmation de notre condition de Catalans.
Les mobilisations des dernières Diadas [fête régionale et journée d’exaltation nationaliste, le 11 septembre] ont facilité que les dirigeants séparatistes puissent parler au nom de toute la Catalogne, en toute impunité. Ils y ont cru si fort qu’ils ont arrivé à étouffer la voix des contraires à la séparation, même au sein des institutions. Le fait de descendre dans la rue est, pour nous, un acte de défense légitime, une façon de démentir l’idée si courante selon laquelle la Catalogne serait «un seul peuple» homogène, comme se plaisent à répéter les nationalistes catalans et pas mal de politiques espagnols. La manifestation d’hier [le 1r d’octobre] s’est soldé par un succès non négligeable : on a réussi à montrer que la Catalogne, c’est une société plurielle, et que son avenir ne peut se laisser à ceux qui ont mis leurs concitoyens sous séquestre.
Le message d’hier [pour le 8 octobre] est un coup de bâton pour les partisans d’une ‘médiation’ avec ceux qui n’ont montré aucun intérêt à traiter avec une partie importante de leurs concitoyens. Après la manifestation, si l’on n’a pas encore compris que le dialogue doit être d’abord entre nous, les Catalans, c’est qu’on a un problème grave de myopie : nous ne sommes pas une société monolithique, et nous ne sommes pas au service du nationalisme. Ce n’est plus le cas. C’est à cause de ça que Josep Borrell a reçu une tonnerre d’applaudissements quand il a affirmé dans son discours que nous étions là pour défendre le pluralisme politique : parce qu’on sait qui nous l’a volé, c’est contre ça que l’on proteste.
Et c’est vrai : beaucoup de nos concitoyens sont venus des quatre coins de l’Espagne pour chanter et pousser des vivats à la Catalogne, avec nous ; ce sont des concitoyens que le nationalisme le plus intolérant –celui des députés et leaders d’opinion du séparatisme– traite d’étrangers. Nous n’excluons personne. Bien au contraire, il faut les remercier pour tout le temps de déplacements en voiture, en avion, en train, qu’ils ont investi pour nous accompagner, à nous Catalans, en la défense de notre démocratie commune. Un grand merci, encore une fois.
Juste une remarque finale. Le pluralisme politique, ce n’est pas rien. La preuve, c’est que tout en le réclamant hier [le 8 octobre], on sent qu’on a récupéré quelque chose d’extraordinaire : il s’agit de la normalité. Un geste si discret comme montrer notre identité plurielle, sans peur de se faire traiter de traître ou de non-citoyen, est aujourd’hui devenu beaucoup plus facile qu’hier [le 8 octobre]. En notre for intérieur, on sait qu’aujourd’hui, nous les Espagnols, tous les Espagnols, sommes un peu plus libres. Vive, donc, la Constitution !