Publié à l’origine en espagnol. Ricardo Dudda. Letras Libres.
Pour de nombreux indépendantistes catalans, le référendum illégal du 1er octobre est un acte démocratique car il consiste à introduire un bulletin dans une urne.
L’une des erreurs les plus fréquentes de l’indépendantisme catalan est d’assimiler le vote à la démocratie. Le vote du 1er octobre est vu par beaucoup de personnes comme « démocratique » parce qu’il consiste à introduire un bulletin de vote dans une urne. Ce scrutin est présenté comme démocratique alors qu’en réalité il ne présente aucune garantie, il est illégal, et il se base sur une prétendue légitimité tirée d’un coup d’état antidémocratique (perpétré au Parlement de Catalogne les 6 et 7 septembre 2017).
Un exemple, sans vouloir banaliser : c’est comme si, dans un match de basket-ball, un joueur mettait un panier en dehors du temps réglementaire. Comment ça, cela ne vaut pas ? Le jeu ne consiste-t-il pas à mettre le ballon dans le panier ? La démocratie sans règles ni garanties n’est pas une démocratie, et les gens ne le savent que trop en Hongrie et en Pologne, en Ukraine et en Russie, dans les Donbass et en Crimée.
De plus, les référendums ne servent pas toujours à améliorer les droits de l’homme ; très souvent c’est justement tout le contraire. Idéaliser l’introduction de bulletins de vote dans une urne, la transformer en quelque chose d’intrinsèquement bon, est dangereux. L’année dernière, la Hongrie a placé des urnes innocentes, où des bulletins de vote innocents étaient introduits, pour décider s’il fallait accueillir des réfugiés. Dans la campagne pour le non, promue par le gouvernement d’Orban, il y avait des slogans tels que : «Saviez-vous que les attentats de Paris ont été commis par des immigrants?» ou encore «Savez-vous que, depuis le début de la crise de l’immigration, il y a eu une forte augmentation du nombre d’agressions sexuelles sur des femmes? »
La gauche qui, il y a quelques années, pendant le mouvement du 15-M, disait que la démocratie ne consiste pas uniquement à voter tous les quatre ans, demande maintenant uniquement de voter, bien qu’il ne s’agisse d’un scrutin ni contraignant ni légal, et se moque de ceux qui ont «peur» des urnes, de la démocratie et du peuple. Elle revendique un vote expressif, comme un moyen de se démarquer. C’est un vote performatif dans lequel ce qui compte est l’acte et non pas ses conséquences. Vous votez généralement pour changer ou maintenir quelque chose. Cette gauche, cependant, vote pour se charger de raisons et pour se réaffirmer dans sa position.
L’adjoint au maire de Barcelone, Gerardo Pisarello, préconise un « oui critique » lors du référendum illégal du 1er octobre, comme si le vote pouvait avoir des nuances, comme si on pouvait fournir des qualités psychologiques au vote, comme s’il s’agissait de souffler des bougies et faire un vœu. Pisarello pense que son «oui critique» est une «forme de rébellion contre le centralisme et l’autoritarisme», mais aussi «une façon d’avancer vers la proposition d’une majorité parmi les communes : un accord plurinational, respectueux des partenaires et entre les différents populations de la péninsule ». Dans le décompte des voix (s’il y en a un), malheureusement, tout cet enrobage n’a pas d’importance : seul un « Oui » apparaîtra. Son parti, Catalunya en Comú, annonce sa participation au 1-O comme une « mobilisation », ce qui confirme que ce n’est qu’une mise en scène.
Il est difficile de défendre la pluralité, l’accord et le respect par un référendum illégal qui ne laisse aucun espace aux options intermédiaires, représentant la majorité des Catalans qui ne veulent pas l’indépendance ou le statu quo. Mais ce qui compte vraiment pour Pisarello, c’est de dire ce qu’il compte voter, et non pas les conséquences qu’aura son vote. Il s’agit d’un vote narcissique semblable à celui de Brexit, ou celui des électeurs américains qui ne voulaient pas choisir entre Trump et Hillary : peu importent les conséquences et, dans le cas du 1-O, peu importe que ce vote soit non valide ou illégal, ce qui importe pour eux est uniquement l’acte du vote, l’expression individuelle.
Beaucoup pensent qu’en Catalogne il faudrait accepter le référendum au moins pour savoir ce que la société catalane pense, comme s’il s’agissait d’un sondage. La démocratie ce n’est pas ça. Si le vote est contraignant, il sert comme enquête, mais a aussi des conséquences: dans le cas de la Catalogne, la sécession d’un territoire. En réalité, le 1-O ne servira ni comme référendum ni comme sondage. C’est une performance narcissique pour ceux qui pensent que la démocratie consiste uniquement à voter, et pour ceux qui veulent prouver que leur voix vaut plus que celle des autres.