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Trois mythes sur le mouvement indépendantiste de Catalogne

Publie à l’origine en espagnol. Francisco de Borja Lasheras. ECFR.

L’Espagne fait face à la crise constitutionnelle la plus grave de son existence depuis le Coup d’Etat manqué de 1981 et poussée par un populisme du style « Brexit »

Il est facile de tomber dans le piège et d’imaginer un certain romantisme aux crises étrangères ayant pour sujet l’autodétermination. L’image des « oppresseurs » contre les « combattants de la liberté » est attrayante et, à leur crédit, les leaders de la Catalogne ont réussi à promouvoir en ces termes leur programme à l’international – poussant même des fois la comparaison jusqu’au combat de Nelson Mandela contre l’Apartheid.

Ceci combiné avec le ‘soft power’ de la cosmopolite Barcelone, donne lieu à une grande confusion à l’étranger sur la nature de la crise actuelle en Catalogne, et génère une abondance de mythes et stéréotypes -encouragés par Assange et d’autres personnalités du même genre.

Cet article cherche à examiner quelques-uns de ces mythes, afin d’éclaircir non seulement le débat sur le referendum catalan mais aussi des problèmes plus larges concernant les démocraties pluralistes et l’autorité de la loi. La dynamique du débat catalan est très similaire à celles des autres pays européens dans l’ère du populisme et par conséquence celle-ci est d’une importance essentielle pour le futur de l’Europe dans son ensemble.

Mythe Un : un referendum légitime et démocratique injustement refusé par l’état espagnol

Le premier mythe est que le referendum serait un procédé légitime et démocratique, approuvé par le parlement catalan mais injustement interdit par l’état espagnol.  

Cependant, la façon par laquelle les lois de sécession -une loi pour permettre un referendum sur l’indépendance et une autre sur la « Transition Légale » (définissant une République Catalane indépendante) – sont passées le 6 Septembre fut terriblement antidémocratique.

Le bloc pro-indépendantiste, qui a une majorité faible, a piétiné les lois parlementaires de Catalogne ainsi que les droits des membres de l’opposition. Les deux lois sont passées précipitamment lors d’une session nocturne et tardive, contre l’avertissement des avocats du parlement catalan et sans prendre en compte la demande des membres de l’opposition de consulter le Conseil des Garanties Statutaires, qui les habilite selon la loi catalane.

Par conséquent et afin de protester et montrer leur désapprobation, le bloc de l’opposition (constituée de Socialistes, libéraux Ciudadanos, le Parti Populaire et quelques membres du parti de gauche Catalunya Sí Que Es Pot) a quitté la séance parlementaire sans voter. La Cour Constitutionnelle espagnole a suspendu ces lois, mais les forces au pouvoir en Catalogne ont décidé d’ignorer cette suspension et de continuer. En effet, ils ont annoncé qu’ils déclareront l’indépendance que le gouvernement espagnol légalise le referendum ou non, faisant de ceci un plébiscite pour une décision déjà prise par la majorité au pouvoir.   

Tout cela représente une violation du règlement défini par la Commission de Venise de l’Europe, qui exige, entre autres, les mêmes opportunités pour les deux blocs, une administration neutre et une législation d’au moins le même rang statutaire passée au moins un an avant un referendum. L’Union Européen investit des millions d’euros pour renforcer la démocratie dans des pays partenaires ou demandant l’accès à l’UE afin d’éviter des abus similaires à celui dont on vient d’être témoin dans le parlement catalan ce mois-ci. Cependant, l’UE pointe du doigt ces manquements et retire son assistance à ces pays, alors que ces standards sont grossièrement violés au sein même de l’Europe.  

Mythe Deux : L’Espagne d’Après-Franco réprime la Catalogne démocratique  

Le gouvernement conservateur de Madrid est une cible facile pour les commentateurs qui n’ont pas le courage de s’attaquer aux vrais Francos contemporains en Russie ou au Venezuela. Mais l’Espagne n’est pas un Goliath comme l’URSS et le gouvernement Catalan de Carles Puigdemont n’est pas non plus un pieux David sans défense.

L’Espagne moderne est une démocratie pluraliste parmi les meilleurs élèves selon tous les standards reconnus. Le gouvernement de Rajoy, qui compte une majorité simple, est soumis à des nombreuses vérifications, et le Premier Ministre lui-même, a dû témoigner dans les tribunaux et devant le parlement en relation à une affaire de corruption qui implique son parti. Les principales villes espagnoles, Madrid et Barcelone, sont gouvernées par Podemos, à travers des coalitions de gauche, et le pouvoir est très partagé au niveau régional. De plus, la Catalogne bénéficie d’amples pouvoirs d’auto-gouvernance, bien plus vastes que dans des autres régions indépendantistes en Europe, votés précisément par le peuple catalan en 2016 et que son gouvernement veut maintenant abroger de façon unilatérale.

Bien évidemment et à l’image de toutes les démocraties occidentales, le gouvernement espagnol a ses propres tensions. Une des principales raisons des tensions dans la vie politique est le besoin d’une réforme institutionnelle pour ramener du dynamisme. En tout cas, l’affirmation comme quoi il y a du Franquisme voilé est absurde.

Plutôt qu’un combat façon David contre Goliath, l’affaire catalane est un choc de légitimités démocratiques : la majorité dans le parlement catalan contre la majorité dans le parlement espagnol. Beaucoup de catalans (bien que non majoritaire selon les sondages) veulent une indépendance totale, mais beaucoup d’espagnols veulent aussi avoir leur mot à dire sur le futur de leur pays. Et même si l’approche légaliste des autorités à Madrid a été reçue par de nombreuses reproches (des fois justifiées), elle repose sur une revendication absolument démocratique : Rajoy n’a aucun mandat permettant le vote de l’auto-détermination en Catalogne sans d’abord mener une reforme substantielle de la constitution espagnole -et cette réforme nécessite le support des espagnols.

Au même titre, le bloc pro-indépendance, qui représente 45% de l’électorat catalan, peut pousser pour l’indépendance, mais ses méthodes jusqu’à ce jour ne montrent que du mépris pour l’opinion et les droits des autres catalans. L’image du parlement catalan à moitié vide témoigne d’un sujet bien plus complexe que la simple opposition « Madrid contre Catalogne ».

A ce propos, quelques aspects de la politique catalane d’aujourd’hui reproduisent malheureusement le sectarisme et la division de la pire période de l’histoire de l’Espagne. En cachant des intentions anti-démocratiques derrière une façade démocratique, le pouvoir en Catalogne est plus proche de la politique anti-libérale et majoritaire du PiS de Pologne que de la lutte justifiée des pays Baltiques afin de s’émanciper de la URSS (leur comparaison de préférence).

A cela s’associe un discours raciste envers les autres espagnols, parfois même soutenu par les plus hautes instances du pouvoir catalan, qui fait penser à la Lega Nord en Italie. Une république avec autant de préjudices échouerait à atteindre les critères minimums exigés par le Statut du Conseil de l’Europe, qui met l’accent sur les démocraties pluralistes reposant sur l’autorité de la loi et l’Egalite des droits. Un des moteurs derrière les manifestations dans la rue et plus généralement du mouvement pro-indépendance est le CUP, un parti de gauche anti-UE et anti-OTAN, qui brûle des drapeaux européens, espagnols et français pendant leurs rassemblements et qui est derrière une vague d’actes d’intimidation contre les maires et conseillers catalans qui s’opposent à ce vote.

Le tour préoccupant que prennent les évènements a été illustré par le discours passionnée de Joan Coscubiela, porte-parole du CSQP et syndicaliste. Monsieur Coscubiela a averti des « abus » de la majorité, « du piétinement » des droits démocratiques et de la dégradation des institutions catalanes, avant de quitter l’assemblée catalane.

Mythe Trois : la comparaison avec la Serbie contre le Kosovo

Le précèdent du Kosovo a été mis en avant pour soutenir les déclarations de persécution du gouvernement catalan. Heureusement pour les deux, la Catalogne (une région riche) et l’Espagne, la comparaison de la Serbie de Milosevic et la Yougoslavie en générale ne tient pas : il n’y a pas eu de campagne de nettoyage ethnique, pas de discrimination donnant lieu à des mouvements de réfugiés sortant massivement du territoire, et pas de condamnation internationale auprès de l’Espagne pour son traitement des catalans.

Hélas, sur certains points les forces au pouvoir en Catalogne ressemblent à certains clans des Balkans. Par exemple, sur leur insouciance à pousser leurs projets de prédilection, sur leur usage du nationalisme pour cacher des problèmes structuraux, et sur leurs ambitions territoriales sur des régions voisines en se basant uniquement sur la langue et des liens de parenté.

Les clivages autour de Catalogne

L’Espagne fait face à la crise constitutionnelle la plus grave de son existence depuis le Coup d’Etat manqué de 1981. Cette crise est propulsée par un populisme similaire à celui du « Brexit », qui se fait évident dans la répétition de slogans creux mais puissants (« Laissez les catalans voter » faisant écho du « Take back control/Reprendre le contrôle » du Brexit. Dans un contexte de mesures d’austérité extrêmes (mises en place par le gouvernement catalan de l’époque, les nationalistes modérés) et de mécontentement avec les coupures du Statut en 2010 par la Cour Constitutionnelle (suivant un appel constitutionnel du parti de Rajoy, qui faisait partie de l’opposition à cette époque), L’Espagne représentait un bouc émissaire idéal, donnant lieu à une montée fulgurante de l’envie d’indépendance d’une minorité.

On retrouve aussi la présence du Brexit dans la stigmatisation des « ennemies du peuple », ceci incluant les juges qui contestent cette ligne de pensée ou qui simplement respectent leurs obligations publiques. On constate aussi une campagne « à la Trump » avec la négation des faits et la modification de la vérité, y compris la déformation des déclarations d’institutions européens et de ministres des affaires étrangers. Ces forces se sont combinées pour écraser les nationalistes modérés catalans, qui sont clé pour la gouvernance de l ‘Espagne, touchée par des scandales de corruption énormes.

La crise en et aux alentours de Catalogne peut déclencher un nouveau clivage plus vaste en Espagne. D’un côté il y a les partisans d’une « démocratie populaire » (qui englobe le bloc pro-indépendance, Podemos et d’autres forces) qui est pour une politique d’insurrection et de la volonté du peuple ; et de l’autre côté il y a les défenseurs d’une démocratie qui repose sur la loi (qui est composé du PP, PSOE, Ciudadanos et beaucoup de catalans pour un referendum légal) qui donne la priorité à l’ordre constitutionnel et aux institutions.

Les premiers considèrent les mesures du gouvernement de Rajoy et les actions judicaires comme une forme de répression. Les seconds dénoncent l’autoritarisme Catalan et considèrent même ce qui s’est passée au parlement catalan comme un Coup d’Etat. Ce clivage va très probablement définir l’agenda politique du pays durant les prochaines années.

L’option écossaise?

Quelques-uns suggèrent un arrangement comme au Quebec ou comme en Ecosse pour qu’un referendum sur l’auto-détermination soit organisée avec des garanties. Cela nécessite d’une réforme structurelle de la constitution espagnole de 1978, pour laquelle il n’y a pas de consensus politique.

Selon la constitution espagnole, la souveraineté appartient à tous les espagnols. On peut être d’accord ou pas, mais cela n’est pas anti-démocratique et cela est aligné avec des dispositions similaires dans la plupart des démocraties occidentales.  La première version de la constitution catalane ne prévoit bien évidement pas d’autodétermination à l’intérieur de ses frontières.

Idéalement, une reforme substantielle de la constitution espagnole pourrait être considérée, avec un renforcement de l’autonomie de la Catalogne et sa reconnaissance comme Nation. Cela nécessiterait des élections, des majorités qualifiées et un referendum au niveau national, peut-être suivi d’un referendum en Catalogne.

Ce scenario, le plus optimiste, pourrait se produire dans le moyen terme et pourrait faire en sorte que les « indépendantistes tactiques » (ceux qui soutient l’indépendance pour gagner plus concessions de Madrid) reviennent au système constitutionnel et pourrait ainsi contenir le momentum indépendantiste, ce qui constitue la plus grande crainte du mouvement actuel en Catalogne. Le gouvernement espagnol et le PSOE ont annoncée à plusieurs reprises plus de lois au niveau régional – pourvu que le gouvernement catalan retourne à l’ordre constitutionnel. Quelques 30% de catalans se sentent déjà détachés de l’Espagne, donc rétablir des liens avec ce groupe serait extrêmement compliquée, voir même impossible. De plus, beaucoup d’espagnols soutiennent différentes formes d’accords avec la Catalogne, incluant même un referendum légal. Cependant ils sont de plus en plus fatigués que le cœur du débat soit les préférences de l’électorat catalan et non pas des sujets plus urgents qui concernent le pays entier.

En effet, il s’agit d’un dilemme cornélien pour le gouvernement espagnol : il ne peut pas réagir avec excès afin d’éviter un contrecoup en Catalogne, mais il ne peut pas non plus rester impassible face au péril pesant sur l’ordre constitutionnel et démocratique en Catalogne. Récemment un juge de la Haute Cour de Justice de Catalogne a ordonné l’arrestation des membres du gouvernement catalan pour incitation à des actes illégaux. Cela a enflammé les indépendantistes, qui contrôlent les rues, et des autres groupes. La situation va probablement se détériorer, renforçant le syndrome du martyr qui leur ait si bénéfique.

Nous pouvons nous demander comment la France aurait réagi si le Conseil de la Collectivité Territoriale de Corse avait commencé une sécession unilatérale et avait annoncé la saisie de biens français. Ou si le gouvernement de Bayern, en Allemagne, avait révoqué la constitution et avait désobéit l’autorité du Bundesverfassungsgericht pour déclarer sa frustration de « nourrir » le Laender dans l’est de l’Allemagne.

Enfin, cette crisse représente un échec colossal du régime politique espagnol dans son ensemble. Nos leaders (nouveaux partis inclus) sont incapables de trouver une solution face à l’impasse actuelle, contrairement à d’autres périodes critiques de l’histoire constitutionnelle du pays où l’habilitée politique était présente. Ayant grandi au Pays Basque pendant les années de déchainement meurtrier de l’ETA, j’aperçois des similitudes inquiétantes en Catalogne : dans le discours de haine, dans la stigmatisation des dissidents et dans la formation de blocs politiques très polarisés, une politique clivante qui menace de se propager au reste du pays.

Les autorités à Madrid avaient tort d’approcher cette crise comme une affaire intérieure. Elle va au-delà de l’affaire catalane et a une pertinence indiscutable au niveau Européen. C’est dans l’intérêt de l’Europe de laisser les vieux mythes de côté et de comprendre de quoi il s’agit en réalité.

Photographie: JuanmaRamos-Avui-El Punt. Wikimedia Commons.

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